Un prix, deux messages, trois lauréats. En décernant son prestigieux prix de sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel à Peter Diamond, Dale Mortensen et Christopher Pissarides, la Banque de Suède donne en effet deux signaux essentiels qui s'inscrivent parfaitement dans l'air du temps. Premier signal, l'emploi est une question économique majeure, une évidence qu'il n'est jamais inutile de rappeler dans un monde où le nombre de chômeurs a bondi de 30 millions en trois ans. Même si leurs enseignements vont bien au-delà, les trois chercheurs ont été distingués pour leurs travaux sur le marché du travail. C'est une première pour un prix qui avait distingué à plusieurs reprises la théorie financière, les modèles mathématiques ou les analyses du commerce international.
Deuxième signal : le marché ne marche pas. Les lauréats du Nobel 2010 posent en effet au début de leurs travaux que la recherche d'un emploi a un coût, tout comme la quête d'un salarié à recruter. L'appariement de l'offre et de la demande n'a rien d'automatique ; la détermination d'un prix ne suffit pas à les égaliser. Les frictions, nombreuses, peuvent vite aboutir à un résultat éloigné de ce qui serait optimal à la fois pour les candidats à l'emploi et les recruteurs. Autrement dit, nous sommes ici très loin de ce que les économistes considèrent comme un marché parfait, celui qu'ils ont le plus étudié, au point de vouloir parfois façonner la réalité pour qu'elle y ressemble. L'homme est une machine trop sophistiquée pour être réductible à ses mécanismes.
L'imperfection du marché du travail justifie l'intervention de l'Etat, par exemple pour accompagner les chômeurs ou protéger l'emploi. C'est une vision aux antipodes de l'efficacité absolue du marché concurrentiel, qui avait valu le même prix il y a deux décennies au Français Maurice Allais, décédé samedi dernier ! Les recherches des trois lauréats ne séduiront pas pour autant tout le monde. Ils montrent par exemple clairement que l'augmentation des indemnités de chômage accroît la durée dudit chômage. Mais que cet allongement peut être utilement mis à profit pour que le chômeur trouve un poste plus adapté à son profil. Avec ce prix, le jury de Stockholm continue de récompenser des approches considérées antan comme de douces hérésies. En dix ans, il aura ainsi choisi d'honorer l'imperfection du marché du travail, la supériorité de certaines formes de gouvernance hors marché, l'asymétrie d'information et la neuroéconomie. C'est aussi le signe d'une discipline en profond renouvellement. Tant mieux !
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