Une bataille de l'opinion, disent-ils ! Comme si l'enjeu de ce qui se joue actuellement pouvait tenir dans les mots convenus des stratégies des uns et des autres et dans les équilibres auxquels chacun veille, du côté du pouvoir comme de celui des syndicats. Comme si la vérité du mouvement était dans les sondages et les effets d'annonce plus que dans la réalité du monde du travail, dans sa pénibilité, dans ses inégalités. Plus que dans ce simple constat que l'opinion est, depuis le début, contre la réforme des retraites et affirme que la borne des 60 ans est un acquis qui ne se discute pas. Pour le reste, le gouvernement se trompe en imaginant que la rupture n'est pas encore consommée et les syndicats aussi en croyant qu'ils peuvent donner des directives à l'opinion.
C'est au contraire l'opinion qui a entraîné les centrales dans le mouvement en les forçant à s'unir et à s'organiser pour être les haut-parleurs du mécontentement. Il y a quelque chose de très profond dans la manière dont est ressentie l'injuste pénalisation de ceux qui ont commencé à travailler tôt et celle des jeunes qui se sentent exclus du marché du travail et dont on a tort de croire qu'ils ne se sentent pas concernés par l'âge de la retraite. Sans doute est-ce dans cette possible jonction des malaises, que d'aucuns redoutent, quand d'autres le souhaitent, un mai 1968 à froid dont personne ne sortirait vainqueur.
Certes les jeunes sont plus sensibles au problème de leur emploi qu'à celui de la retraite. Mais ils ont bien compris que si on demande à leurs aînés de travailler plus, ce sont eux qui seront au chômage plus longtemps. Or ils ne veulent pas que l'on sacrifie leur formation et que l'on dévalorise leurs compétences dans des batailles qui se mènent autour des sectarismes politiques et de gesticulations bien éloignées de la réalité des retraites.
Le débat parlementaire s'accélère, le vote de la loi interviendra dans les prochains jours. Mais cela ne signifiera pas pour autant que les salariés et la jeunesse ne restent pas hostiles à la réforme. Malgré la paix apparente et le silence de la rue, l'incompréhension et les blocages resteront. L'opinion attendra son heure pour mener l'autre bataille.
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