TOUT EST DIT

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lundi 3 juin 2013

L’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes... Pourquoi il est urgent d’en finir avec le double discours toxique des politiques français sur Bruxelles


La Commission européenne a exigé, mercredi, des réformes structurelles de la France en contrepartie d'un délai pour réduire le déficit. François Hollande a répliqué sèchement : "Bruxelles n'a pas à dicter à la France ce qu'elle doit faire".

La Commission européenne a exigé, ce mercredi, des réformes structurelles de la France en contrepartie d'un délai pour réduire le déficit. Le chef de l’État estime que « Bruxelles n'a pas à dicter à la France ce qu'elle doit faire ». Pourtant, la France a signé tous les derniers traités européens et le logiciel idéologique du président de la République est profondément « Deloriste ». Peut-on parler de schizophrénie de François Hollande et plus largement des politiques français à l’égard de l’Europe ?

Sylvie Goulard :  C'est une maladie extrêmement répandue. Le président de la République est effectivement pro-européen. Lors de sa dernière conférence de presse, il a évoqué, à juste titre, un gouvernement économique de la zone euro. Il est très paradoxale de dire d'un côté qu'on veut aller plus loin et en même temps de répliquer aussi sèchement à la Commission européenne lorsqu'elle fait son devoir en vertu des textes qu'elle est chargée d'appliquer. C'est dommage. C'est une occasion perdue de mettre en place une bonne pédagogie de l'esprit même de ce que souhaite le chef de l’Etat.
Les textes sur la base desquels la Commission s'exprime sont des textes qui ont été adoptés en codécision, validés à la fois par les parlementaires européens élus par les peuples et par les ministres des Finances issus du processus démocratique au niveau national. On a donné à la Commission des pouvoirs parce qu’il faut un arbitre au centre du jeu pour que tous les partenaires respectent les engagements qu'ils ont pris. Je ne vois aucune raison de mettre en cause la Commission d'autant plus que la France a des marges de manœuvre. Il ne s'agit pas d'un diktat, mais de simples recommandations. La Commission est là pour ça.
 Nicolas Goetzmann :  Lors de la campagne présidentielle, le candidat Hollande proposait deux choses : la renégociation du pacte budgétaire et la modification de la doctrine de la BCE. (Article 11 du programme). Le pacte a été ratifié en l’état et la doctrine de la BCE n’a pas été modifiée d’un iota.
Dans ce contexte, il est permis de se poser la question soit de l’honnêteté du programme soit de la capacité de François Hollande à le réaliser. Au final le résultat est le même, la commission dispose désormais d’un pouvoir accru sur notre politique budgétaire. Le président s’en plaint aujourd’hui mais il l’a signé. Il s’agit donc plutôt d’une question de forme, de demander à la commission de lui permettre de ne pas perdre la face.
Au sujet de la schizophrénie dont vous parlez, il existe un moyen de rétablir une cohérence. Pour un Européen convaincu, la seule porte de sortie, par le haut, est de mettre en place une réforme du mandat de la BCE. Il s’agit de faire de l’emploi le cœur de la politique monétaire, ce qui serait une modification économique radicale. Un tel projet me semble être le seul qui permettrait une sortie de crise et réhabiliterait la zone euro auprès des populations.

Pourquoi est-on incapable de dire aux Français que les règles européennes ont été choisies avant tout parce qu'elles sont des règles de bonne gestion ? Les politiques exportent-ils les contraintes économiques à Bruxelles pour ne pas avoir à les gérer politiquement au niveau national ? Dans ce contexte, y a-t-il urgence à refonder entièrement le débat sur l'Europe en France ?

Sylvie Goulard : Il faut prendre conscience qu'on a décidé de partager la même monnaie il y a 20 ans ce qui crée des obligations mutuelles et des exigences de bonne gestion que jusqu'à présent tous les gouvernements de gauche et de droite ont violé allègrement. Il ne s'agit pas d'accabler François Hollande qui s'inscrit dans une longue tradition.
Ces réflexes permanents sont dommageables après tant d'années d'intégration et alors même que la plupart des gouvernants souhaitent que l'Euro continue d'exister. Lorsque Mario Monti était à la tête de l'Italie, il a toujours expliqué qu'il faisait les réformes car celles-ci étaient dans l'intérêt du pays et non parce qu'elles étaient dictées par l'Europe. D'ailleurs, La Cour des comptes française, présidée par le socialiste Didier Migaud va très largement dans le même sens que la Commission européenne. Le rôle des hommes politiques est d'aider le pays à avancer et pas de s'en prendre à des institutions qui sont dans leur rôle.
Nicolas Goetzmann :  Les Français ont des doutes sur ces règles de bonne gestion parce que nous n’avons plus de croissance depuis 5 ans, et que l’Europe est frappée par un chômage de masse, ce qui n’est pas illégitime. Ce qui me semble insupportable est que les mesures proposées par la commission ne sont pas mauvaises en elles-mêmes mais qu’elles sont simplement hors de propos dans le contexte actuel. De telles réformes nécessitent un soutien monétaire comme cela est réalisé partout : en Suède dans les années 1990, au Royaume Uni dès le mois prochain, aux Etats Unis et au Japon depuis fin 2012. Aussi longtemps que cette solution ne sera pas portée efficacement, le politique sera démuni et se défaussera de cette façon.

Comment expliquer aux Français que l'Euro n'a pas de sens sans convergence des politiques budgétaires et structurelles ?

Nicolas Goetzmann : Le point essentiel ici est de comprendre que pouvoir monétaire et pouvoir budgétaire sont liés. Ces deux pouvoirs doivent être détenus au même niveau de décision et ce n’est pas le cas en Europe aujourd’hui. Le monétaire est européen tandis que le budgétaire est encore entre les mains des nations. Une telle situation ne peut qu’être transitoire.
L’harmonisation budgétaire devient alors une évidence pour toute personne europhile. Elle est par contre insupportable pour un eurosceptique car le pouvoir budgétaire sera transmis au niveau européen, si la zone euro survit à cette crise c’est une certitude. Etant donné le niveau de chômage en France et en Europe, toute tentative de faire admettre les bienfaits de l’Euro est inaudible. La refonte du mandat de la BCE aura lieu ou la zone euro ne sera plus.
Sylvie Goulard : La convergence ne doit pas se limiter au strict domaine budgétaire.Lorsqu'on a fait le traité de Maastricht, on a considéré que la monnaie pouvait tenir bon grâce à deux critères pesant sur le déficit public et la dette publique. L'une des grandes innovations qui ont été faites sur la gouvernance de la zone euro depuis le début de la crise, est d'avoir ajouté au contrôle des déficits excessifs un contrôle des déséquilibres macro-économique. On va regarder l'ensemble du tableau de bord de l'économie pour faire en sorte que l'économie française, et celle des autres pays, se renforce et qu' in fine il y ait plus de travail et plus de croissance. 
Prenons l'exemple des retraites. Avec le vieillissement de la population, on verse des retraites beaucoup plus longtemps. Il y a des gens qui ont presque cotisé moins que le nombre d'années où ils vont être à la retraite. Ce sont des phénomènes qu'il faut affronter. Non pas pour faire plaisir à Bruxelles, mais pour tenir compte de l'évolution des populations. De même, on ne peut pas accabler de charges les entreprises, faute de quoi elles ne sont pas compétitives.
Dans la zone euro, il y a un certain nombre de pays qui vont mieux comme l'Allemagne et l'Autriche. C'est dans l'intérêt de la France que certaines réformes aboutissent pour essayer d'avoir la même monnaie et la même prospérité que les autres au lieu de dégringoler dans les classements européens.

Une partie de l’incompréhension naît-elle du déficit démocratique au niveau européen ?

Nicolas Goetzmann : Dani Rodrik, professeur d’économie politique à Harvard, nous livrait une vision de ce phénomène : « nous ne pouvons avoir simultanément la mondialisation, la démocratie, et la souveraineté nationale. Il nous faut en choisir deux parmi les trois ». C’est ainsi que la mondialisation est un processus de perte de souveraineté pour les états de la zone euro, aujourd’hui au profit de la technocratie européenne. De fait, le projet européen est un projet d’intégration totale et nous ne sommes qu’à mi-chemin de ce processus. Et justement, cette période transitoire ne permet pas de lier pouvoir et démocratie. Le pouvoir est éclaté alors que le vote est resté national.
Dès lors, l’incompréhension des peuples a pour cause cette perte de souveraineté. La défiance à l’égard du politique prend racine dans l’incapacité de résoudre cette crise alors même que les Etats hors zone euro y parviennent (Etats Unis, Royaume Uni, Japon ont tous des taux de chômage très inférieurs à celui de la zone euro).
Sylvie Goulard : Oui, mais il faut porter la critique sur les institutions qui créent vraiment ce déficit démocratique.  La Commission européenne est beaucoup attaquée et peut faire des erreurs, mais ce n'est pas de la Commission que vient le déficit démocratique. La Commission est contrôlée par le Parlement européen et est susceptible d'être censurée par celui-ci.
L'un des glissement qui s'est produit pendant la crise, c'est la montée en puissance d'un Conseil européen qui n'est contrôlé par personne. Pour les actes qui sont décidés en commun le Conseil européen n'a pas de mandat des peuples. Il n'y a pas de discussions transparentes sur les raisons pour lesquels les décisions sont prises. Par exemple, personne n'a rendu de compte sur les décisions qui ont été prises concernant Chypre. Décisions qui ont été pourtant préjudiciables pour l'ensemble de l'Europe. On a besoin de plus de démocratie, mais il ne faut pas tromper de cibles. Ce sont souvent les gouvernements nationaux, l'Eurogroupe, le Conseil européen, qui prennent des décisions dans leur coin sans être susceptibles de contrôle. Par exemple, il faut rappeler que la Troïka a été créée sans aucune base juridique

Ce déficit démocratique existe-t-il également au niveau national ? Paie-t-on aujourd’hui le prix dans l’opinion du passage en force que représentait l'adoption du traité de Lisbonne malgré le "non" de 2005?

Nicolas Goetzmann :  C’est ce que disait Philippe Muray en 2005 à propos du référendum ; en Europe l’alternative au « oui » c’est le « oui », il suggérait de placer deux piles de « oui » dans les urnes. Il a été entendu, en quelque sorte.
Il est en effet évident que la ratification du Traité de Maastricht a entrainé une perte de souveraineté au niveau des nations, que celles-ci se sont mises en état de pilotage automatique au niveau politique et que la crise a rendu cette situation intenable. Intenable car le pouvoir est détenu à un double niveau dans une situation transitoire. A terme, soit le monétaire reviendra aux nations, soit le budgétaire passera entièrement au niveau Européen. Cette dernière solution est en route depuis la ratification du pacte budgétaire européen le 22 octobre dernier. Il convient dès lors d’adapter le pouvoir de l’électeur à cette nouvelle donne.
Sylvie Goulard : J'ai trop de respect pour la démocratie parlementaire pour penser que les ratifications de traités internationaux doivent être forcément soumis à référendum. Il y a plusieurs modalités de ratification. Le référendum en est une lorsqu'on pose des questions simples. J'ai trouvé normal que la France fasse un référendum sur l'entrée dans l'Union européenne. Soumettre à la population des textes longs et compliqués ne me paraît pas approprié. On a justement inventé la démocratie représentative pour l'examen de textes complexes. Des décisions extrêmement importantes de politique intérieure sont prises par l'Assemblée nationale.

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