TOUT EST DIT

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lundi 22 octobre 2012

Compétitivité : la gauche déflationniste en passe d'obtenir la peau du rapport Gallois... et de l'avenir de la France

Le gouvernement récuse déjà le terme, mais le rapport du commissaire à l'investissement, Louis Gallois, proposera bien "un choc de compétitivité sur deux ou trois ans de 30 milliards" d'euros, selon Le Figaro daté de samedi.
Depuis quelques semaines, Jean-Marc Ayrault a fait de la « compétitivité » le levier de sa politique de communication personnelle et un outil de promotion de l’action de son gouvernement ; et le rapport Gallois accompagne cette thématique en réfléchissant sur les pistes à considérer pour stimuler une reprise de la croissance qui s’appuierait sur des bases solides et non pas seulement sur des mesurettes aux effets éphémères. On devrait ainsi se réjouir de retrouver « l’esprit de la gauche » classique, celui de gouvernements engagés résolument dans une relance « keynésienne » de la croissance, s'appuyant sur le « développement » de l’économie par des investissements et non par une stimulation immédiate de la consommation. On avait vécu cela à l’époque des années 1945-1950, du « verbe mendésiste » et enfin des espérances portées par « le chevènementisme » sous la première présidence de Mitterrand - quand Jean-Pierre Chevènement était ministre de l’Industrie et de la Recherche au nom d’un activisme jacobin qui anticipait celui d’Arnaud Montebourg.
Rappelons que les plans de stabilisation de l’après-guerre (plan Mayer en 1948, gestion du ministre des Finances Petsche en 1948-1949, voire petit plan Pinay de 1952) n’avaient pas porté atteinte aux grands courants de l’investissement productif, nourris par le premier plan de développement et d’équipement. On coupait dans les budgets courants - on parlait alors de la « commission de la hache » -, en maintenant peu ou prou les budgets d’investissement, et Edgar Faure (responsable des Finances en 1954-1956 comme ministre ou président du Conseil) avait établi un ancêtre de notre « règle d’or », mais pragmatique : équilibre d’exploitation, emprunts pour financer l’investissement - et les gaullistes avaient repris grosso modo ce distinguo dans les années 1958-1974.
Cela nous conduit à soupeser de façon critique le panier de décisions en cours de maturation dans les cabinets et commissions de la gauche au pouvoir aujourd’hui… Le chirurgien esthétique qui gère notre budget s’est mis en tête de manier « la hache » avec une brutalité souriante ; et les annonces de coupe ou de gel se succèdent à rythme soutenu ! Or l’on peut percevoir, en cette fin d’octobre, une logique inquiétante : les dépenses courantes sont peu contenues ; mais des dépenses « durables », orientées vers les investissements et les infrastructures, paraissent menacées.
Tout d’abord, au grand dam de la gauche gérant la Région Ile-de-France, les programmes du Grand Paris sont dans le collimateur : tel qu’il se dessine, le plan 2013-2015 repousse plusieurs projets importants vers son successeur, les projets que droite et gauche considéraient sous Sarkozy comme « structurants » (des lignes de métro en banlieue, des gares, la liaison avec Roissy, etc.). On ne supprime rien, mais on freine, on reporte, on retarde. Or c’est la compétitivité globale de la région parisienne qui est en cause, à travers la mobilité de la main-d’œuvre, des touristes, des hommes d’affaires, et c’est l’efficacité de la plate-forme aérienne qui pourrait être rognée.
Ensuite, des doutes surgissent quant à l’allocation de ressources budgétaires étatiques en 2013 et en 2014 en faveur des investissements d’infrastructures : lignes à grande vitesse, travaux de remise à niveau des lignes ferroviaires normales (société RFF) ; réseaux électriques monopolistiques (sociétés RTE et ERDF) ; nombre de projets semblent devoir être eux aussi « étalés » dans le temps ; un plan de réexamen du plan de transports défini pendant le précédent quinquennat va aboutir inéluctablement à des coupures, à des reports et même à des annulations - comme le craignent nombre de présidents (de gauche) de Région.
Or la droite avait tout de même compris en 2002 que la compétitivité basique du pays pâtissait de la crise de ces réseaux ; et de gros programmes d’investissements avaient été lancés et sont en cours d’accomplissement - malgré les effets négatifs sur la circulation des trains ou les égoïsmes des défenseurs des paysages vierges. C’est la compétitivité des régions, le désenclavement, la stabilité énergétique - pour les usines -, etc., qui sont en cause. Par ailleurs, la droite n’avait pas géré de façon assez « interventionniste » le plan de lancement des premiers programmes de sites d’énergie éolienne ; mais l’on ne sent pas chez la gauche un volontarisme plus net…
Sur un tout autre registre, les discussions de « démocratie participative » conduites par le ministre Vincent Peillon n’auront abouti qu’à des banalités sur la semaine scolaire ou l’embauche de quelques milliers de professeurs. En revanche, à propos des fameux « décrocheurs », il nous semble qu’il aurait fallu concevoir un « grand » plan de construction de filières préprofessionnalisantes et de lycées professionnels adaptés à ces cohortes de jeunes confrontés aux défis de « l’employabilité » et de l’insertion socioprofessionnelle. Vincent Peillon se gargarise de philosophie morale, mais ne paraît pas avoir saisi l’enjeu du « sous-prolétariat » potentiel que constituent ces cohortes de jeunes fragiles ! A l’autre bout de l’échelle de formation, l’on manque de milliers de diplômés de bac+2 et d’ingénieurs : là encore, on aurait attendu que notre ministre de l’Université prenne à bras le corps un programme de construction de nouveaux IUT, sections de BTS et écoles de genre Arts et métiers ; et l’on est plutôt déçu à ce niveau des palabres qui préparent la nouvelle loi universitaire.
Enfin les mesures concernant la remontée en puissance du logement social paraissent timorées - en particulier à propos du prix du foncier. Rappelons que c’est sous le gouvernement de Lionel Jospin que l’on avait atteint un record minimum de construction de logements HLM (dans les 60/70.000) depuis les années 1960… ; et que ce sont les plans conçus par la droite (« plan Borloo », Anru, etc.) qui avaient véritablement stimulé la relance du logement social (dans les 100/120 000 par an en 2011 et 2012) ! La chute de recettes des droits de mutation immobilière, par ailleurs, entaille la marge de manœuvre de plusieurs grandes agglomérations (comme à Paris), dont l’endettement freine par ailleurs la mobilité investisseuse.
Bref, que ce soient pour les investissements en infrastructures de services publics, en infrastructures d’enseignement professionnel ou en infrastructures de logement, on devient perplexe : où est la tradition de la gauche dite « keynésienne » ? Les groupes de réflexion proches de la gauche voient leurs économistes se diviser, et les bonnes paroles de l’économiste Daniel Cohen, l’un des conducteurs de l’offensive des experts contre une droite sarkozyste jugée « néo-libérale » et contre la « financiarisation » de l’économie, paraissent aujourd’hui résonner quelque peu dans le vide…
Plus grave encore, par conséquent, au terme de nos réflexions, c’est d’abord la perplexité qui nous gagne : ne serait-on pas confronté à une gauche trop pénétrée de préoccupations budgétaires à court terme, qui se draperait dans des costumes déflationnistes ? « Keynes, reviens ! », devrait-on proclamer - si tant est que notre perception du keynésianisme implique ce volontarisme investisseur.
Ensuite, l’inquiétude nous gagne : dans la compétition de l’économie globalisée, à l’heure où les gestionnaires des fonds d’investissement - pas les « spéculatifs », mais ceux qui gèrent des fonds sur des perspectives « durables » - et des fameux « investissements directs à l’étranger » -  et, là, pour eux, c’est la France, « l’étranger » ! - mettent en concurrence France, Allemagne, Royaume-Uni et Europe centrale, c’est bien la compétitivité globale du pays qui doit être au centre des préoccupations. Est en cause la compétitivité de la place parisienne, de l’Ile-de-France et des régions ouvertes à la compétition (autour de quelques grandes métropoles et des fameux « pôles de compétitivité » conçus par les groupes d’experts mis sur pied par la droite) ! On est bien loin des seules préoccupations du budget 2013 et du suivant ! Il faut relancer une planification à moyen terme, cohérente, constante : on aimerait une « gauche éclairée », et non pas une « gauche comptable » !

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