lundi 22 octobre 2012
Géométrie variable : pourquoi la France donne-t-elle des leçons de démocratie à l'Afrique noire et pas au Qatar ?
En déplacement à Kinshasa (République
démocratique du Congo) pour le sommet de la francophonie le 13 octobre
dernier, François Hollande a critiqué très ouvertement la situation des
droits de l'Homme en RDC, parlant de "réalités inacceptables".
Sylvain Touati :
Je ne pense pas que le ministère des Affaires étrangères ou l’Elysée -
qui sont les deux organes qui portent officiellement la voix de la
France à l’international - soient aussi sélectifs : des communiqués
concernant tous les pays du globe sont publiés de façon claire et nette
sur le site du ministère des Affaires étrangères. En tant que membre du
Conseil de sécurité des Nations Unies, la France doit donner son avis.
Et elle le fait en ce qui concerne toutes les crises qui traversent le
monde.
Toutefois, dans
certaines régions du monde, la France, du fait de son influence, de son
passé ou des relations entretenues avec le pays peut se permettre
d’utiliser des moyens de pression et d’être davantage écoutée.
La première de ces régions est l’Europe, en particulier l’Europe de l’est et l’Europe centrale.
Du fait de son intégration européenne, la France a beaucoup d'influence
dans ces régions, notamment en ce qui concerne les problèmes de
démocratie en Biélorussie, en Moldavie, ou plus récemment en Roumanie et
en Hongrie. Cela n’a pas été très repris dans les médias français, mais
la pression que la France a exercée au niveau de l’UE sur ces deux
derniers conflits a été importante.
Viennent ensuite les anciennes colonies, en particulier en Afrique subsaharienne.
Du fait de ses relations anciennes, mais aussi de l’aide au
développement et des relations économiques et militaires, la France peut
faire pression sur ces pays. Elle se permet de donner des leçons, et
peut mettre ses paroles en action.
Un
certain "réflexe politique" demeure : les élites des anciennes colonies
(principalement formées à Paris) ont gardé pour habitude d’observer de
près la position française sur différentes questions. Dans
certains pays d’Afrique francophone, les lobbies d’opposition et les
partis au pouvoir font jouer les réseaux qu’ils ont en France pour
mobiliser l’attention et les réactions de l’exécutif français. Il existe
des pays où la France est particulièrement présente du fait de son
engagement militaire. C'est le cas par exemple de la Côte d'Ivoire mais
aussi du Niger qui compte de nombreuses mines d’uranium (un élément
essentiel de la filière nucléaire).
Mais ce type de relation est bilatéral. La
France semble donner des leçons, mais les pays africains ont aussi une
part de responsabilité : ils demandent à la France de prendre position.
Récemment, la France a été apostrophée plusieurs fois : lors de la
réélection d’Ali Bongo au Gabon, ou encore lors de la crise en Côte
d’Ivoire. De la même façon, les déclarations de François
Hollande à Kinshasa dénonçant la situation des droits de l’Homme en
République démocratique du Congo font suite aux demandes des ONG et de
la société civile congolaise. François Hollande n’a donc pas
agi uniquement pour satisfaire l’opinion publique française. Il existe
en général une sollicitation de la part des régimes au pouvoir ou des
partis d’opposition. Et bien souvent, quelle que soit la position de la
France, elle se retrouve critiquée.
On
peut légitimement se demander si ces pays doivent se retourner
systématiquement vers Paris pour gérer leurs propres affaires. Mais la
situation est en perpétuelle évolution. Les Américains et les Japonais
ont des bases militaires à Djibouti. Au niveau économique, on constate
l’arrivée d’acteurs intéressés par la croissance des pays africains,
comme la Chine, l’Inde, la Malaisie, le Brésil et l’Allemagne.
De
plus, même dans les pays où la France avait une position hégémonique,
la situation a évolué. D’ailleurs, les positions de Paris sont parfois
moins écoutées. Le poids de la France s’est amenuisé et cette tendance
va s’accentuer au fur et à mesure que ces pays se développent et nouent
de nouveaux partenariats. Cette prise de distance est d'ailleurs
souhaitée par la France, comme le prouvent les communiqués qui appellent
à une "normalisation" de ses relations avec l’Afrique.
En déplacement à Kinshasa le 13 octobre dernier,
François Hollande a jugé que la situation des droits de l'Homme en
République démocratique du Congo (RDC) revêtait des "réalités
inacceptables". Il a aussi dénoncé des "processus démocratiques
incomplets". La France se permet-elle de donner des
leçons de manière sélective selon les zones géographiques du globe ?
Quelles sont les pays ou les régions dans lesquels la France se permet
de donner ce genre de leçons ?
Sylvain Touati :
Je ne pense pas que le ministère des Affaires étrangères ou l’Elysée -
qui sont les deux organes qui portent officiellement la voix de la
France à l’international - soient aussi sélectifs : des communiqués
concernant tous les pays du globe sont publiés de façon claire et nette
sur le site du ministère des Affaires étrangères. En tant que membre du
Conseil de sécurité des Nations Unies, la France doit donner son avis.
Et elle le fait en ce qui concerne toutes les crises qui traversent le
monde.
Toutefois, dans
certaines régions du monde, la France, du fait de son influence, de son
passé ou des relations entretenues avec le pays peut se permettre
d’utiliser des moyens de pression et d’être davantage écoutée.
La première de ces régions est l’Europe, en particulier l’Europe de l’est et l’Europe centrale.
Du fait de son intégration européenne, la France a beaucoup d'influence
dans ces régions, notamment en ce qui concerne les problèmes de
démocratie en Biélorussie, en Moldavie, ou plus récemment en Roumanie et
en Hongrie. Cela n’a pas été très repris dans les médias français, mais
la pression que la France a exercée au niveau de l’UE sur ces deux
derniers conflits a été importante.
Viennent ensuite les anciennes colonies, en particulier en Afrique subsaharienne.
Du fait de ses relations anciennes, mais aussi de l’aide au
développement et des relations économiques et militaires, la France peut
faire pression sur ces pays. Elle se permet de donner des leçons, et
peut mettre ses paroles en action.
Les partenariats sont très diversifiés, donc la France n’a pas les mêmes moyens de pression qu’ailleurs. Le
secteur pétrolier étant très sensible, la France veut s’assurer un
accès à ce marché, donc elle évite de se mettre les régimes au pouvoir à
dos.
De plus, la région est sous contrôle américain.
Les régimes en place sont soutenus par les Etats-Unis. La France, par
sa fameuse politique arabe, avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy, a
toujours essayé de se faire bien voir pour maintenir son accès au champ
pétrolier. En particulier depuis les politiques d’investissement pour le
développement du secteur de la construction, au Qatar, à Bahreïn et en
Arabie Saoudite : la France essaie de positionner ses entreprises pour
retenir les marchés.
Nous avons
ouvert récemment une petite base militaire à Abu Dhabi, alors que les
américaines ont des dizaines de milliers de soldats déployés dans la
région. Les Britanniques ont aussi des bases militaires dans la région. La
France est un acteur parmi d’autres au Moyen-Orient, un acteur moyen,
et non pas un grand acteur comme c'est le cas en Afrique subsaharienne.
Le
Bahreïn, le Qatar et les Emirats étaient sous protectorat britannique
jusque dans les années 1970, l’opinion de la Grande-Bretagne y reste
donc très importante. Toutefois, l’opinion de la France reste également
suivie car elle est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies,
elle a des intérêts dans la région et elle a mené une politique arabe
unique qui lui a permis de se distinguer des autres partenaires depuis
les années 1950. Pendant très longtemps, la France a eu une position
unique au Moyen-Orient.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire