Droitisation. Ce n’était pas la campagne de Nicolas Sarkozy qui la
provoquait, comme le prétendaient les commentaires médiatiques. C’est la
France qui s’est droitisée. En dix ans, l’évolution est spectaculaire.
Reprenez les chiffres.
En 2002, Jacques Chirac et ses alliés (Madelin, Boutin) font 7
millions de voix au premier tour ; Le Pen et son ex-second Mégret, 5,5
millions. Total : 12,5 millions. Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy,
avec Nihous et Villiers obtiennent à eux seuls 12,7 millions de
suffrages, soit, avec ceux de Le Pen, 16,5 millions. Dimanche dernier,
le total Sarkozy, Marine Le Pen, Dupont-Aignan fait 16,7 millions.
Toutes familles confondues, avec les contradictions et interdits que
l’on sait, la droite a progressé de 4 millions de voix en dix ans –
c’est-à-dire de 33 % ! Durant ces seules années 2007-2012, Sarkozy avec
Le Pen passent de 41,6 % des voix à 45,1 %. On peut toujours discuter,
c’est un fait.
Mais au coeur de cette “droitisation”, la droite frontiste a
elle-même effectué un bond : un million de voix de plus en dix ans.
Record historique. Quant au centre de François Bayrou, on voit à peu
près clairement ce qui s’est passé : à force d’entendre leur leader
faire le procès systématique de Nicolas Sarkozy, de sa personne et de
tout ce qu’il pouvait faire, le tiers de ses électeurs est allé droit
chez Hollande dès le premier tour.
Le second tour est donc entre les mains des électeurs de Marine Le
Pen. Il l’était déjà en 2007. Parmi eux se trouvent des électeurs de
droite qui ont eu envie de mettre une épée dans les reins de Nicolas
Sarkozy, contre tous ceux qui lui conseillaient d’aller à la rencontre
du “centre”. D’autres, qui ne sont pas nécessairement différents, ont
frappé encore un peu plus fort, exaspérés de voir leur voix
éternellement méprisée. Dans les deux cas, ce vote est la traduction de
ce que Martine Aubry a bien analysé, quoique mal placée pour en parler :
une « faillite morale ».
En 1988 déjà, il y a donc vingt-quatre ans, 4,4 millions
d’électeurs votaient Le Pen et, depuis, d’élection en élection, ces
mêmes électeurs ont été traités de malades, d’obsédés, de xénophobes,
d’islamophobes, de nostalgiques, etc. Plutôt perdre une élection que
perdre son âme, disait-on même à droite. Instruite par François
Mitterrand, la gauche s’employait savamment à diaboliser moins le Front
national que les élus de droite tentés de l’avoir comme allié. On se
rappelle la bronca des “valeurs communes”, la manière avec laquelle la
gauche sut, avec la complicité du centre, ruiner la carrière de Charles
Millon parce que celui-ci n’avait pas renoncé au soutien des élus du FN
au conseil régional Rhône-Alpes. Stigmatisation – le grand mot ! Défense
de stigmatiser les minorités visibles et invisibles mais pas l’électeur
populaire de Le Pen.
Que s’est-il passé ? Voués au bûcher par le “politiquement correct”,
ces électeurs frappaient à la porte d’une droite qui ne répondait pas
parce qu’elle était pétrifiée par les injonctions de la gauche. Résultat
: les électeurs lepénistes ont fait battre la droite sourde aux
législatives de 1997 en faisant tomber suffisamment de sièges grâce à
des triangulaires, offrant ainsi la majorité à Lionel Jospin pendant
cinq ans. L’élection de 2002 aura été pour le Front national une
victoire paradoxale : Le Pen fut certes présent au second tour, mais ses
électeurs furent plus que jamais isolés et parqués.
En 2007, Nicolas Sarkozy a su aller les chercher, les séduire,
les extraire de l’isolement, les ramener à la maison. Mais la gauche
veillait, et lui-même, malgré des gestes forts, s’est laissé entraîner
par cette gauche factice à une politique d’ouverture inutile, à des
nominations offertes à ses adversaires, à des débats restés sans suite.
La “morale” commandait d’avoir de la reconnaissance pour ces électeurs
trop méprisés. Ses discours n’ont pas suffi. Ils se rappellent au bon
souvenir de chacun.
Voici que M. Hollande se met à les « comprendre », quand M. Mélenchon qualifiait leur candidate, il y a peu, de « démente ».
Mais qu’y a-t-il dans le programme Hollande pour rassurer ces électeurs
autrefois bannis et soudain devenus fréquentables ? Le droit de vote
aux étrangers ? la régularisation des sans-papiers ? l’inscription de la
loi de 1905 dans une Constitution déjà laïque ? la priorité au logement
pour ceux qui viennent d’ailleurs ? le RSA pour tous ? Le comble de la
“faillite morale” serait que le candidat socialiste soit élu grâce à ces
voix-là. Mais d’un autre côté, quand Hollande garantit 22 sièges de
députés aux Verts dont la candidate a fait 800 000 voix, Nicolas Sarkozy
peut-il ne rien faire pour un parti qui en a obtenu 6,4 millions ? La
démocratie, et pas seulement la morale, appelle une réponse.
jeudi 26 avril 2012
L’épée dans les reins
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