jeudi 26 avril 2012
Envie de croire
Mercredi matin avant le premier tour de la présidentielle. Je
quitte mon village pour “monter” à Paris. Photos des candidats alignées
sur les panneaux devant la mairie. Dix candidats, neuf antisarkozystes
et lui, Sarko, dont le sort est scellé, si j’en crois les journaux
achetés à la gare de Brive. Tous antisarkozystes, sauf le Figaro.
L’après-midi, j’emmène mon petit-fils aux Invalides pour lui montrer
la France avec une majuscule – les trophées sous les voûtes de l’église
Saint-Louis, l’Historial de Gaulle, le tombeau de l’Empe reur. Coup de
fil d’un proche de l’Élysée.
« C’est plié. » Dîner avec mon ami Philippe Faure, ce
diplomate hors gabarit dont la carrière a été absurdement sciée par
Sarkozy. Il le voit battu et n’a pas lieu de s’en désoler, mais, comme
il est lucide et très averti des réalités macroéconomiques, il craint le
pire pour la France, à brève échéance. Moi aussi. Deux bouteilles de
saint-joseph pour noyer mon spleen. Jeudi, je déjeune avec Catherine
Nay, qui m’offre gentiment son livre. J’ai depuis longtemps un faible
pour cette dame belle et futée, qui sait son Paris sur le bout de ses
longs doigts de pianiste mais n’a ni perdu ni renié ses attaches
périgourdines. Elle pense que les jeux sont faits et me rappelle nos
apartés de jadis avec Hollande. Même son de cloche à RTL : pour Cayrol
et Thréard, avec qui je dialogue dans l’émission de Hondelatte, les
carottes sarkozystes sont cuites.
Dîner avec un grognard des campagnes de la droite, rompu aux moeurs des cabinets ministériels et
cependant écoeuré comme un jouvenceau, car quelques dévoyés du
chiraquisme cirent publiquement et opportunément les pompes de Hollande.
Histoire française ordinaire ; c’est Au bon beurre de Dutourd, l’occupant en moins. Deux bouteilles de santenay pour tromper notre morosité. Vendredi, autre mauvais sondage dans le Monde,
dont les plumes ont du mal à feutrer leur joie. Je déjeune avec deux
écrivains, diplomates de leur état, un Italien, un Chilien. Ils croient
savoir eux aussi que Hollande a gagné la bataille de l’Élysée et que le
choix du futur locataire du Quai d’Orsay a déjà été arrêté. Fabius,
dit-on, remplacera Juppé. Comme ils sont très francophiles, ils
constatent avec une indulgence teintée d’ironie que notre gauche n’en
finit pas de ressasser ses fantasmes robespierristes. Comme ils ont
beaucoup d’expérience, ils pronostiquent un réveil douloureux. Dans le
train du retour, je lis le récit de Catherine Nay sur ce quinquennat
lourd de paradoxes. Catherine en a restitué le tempo affolé, les zigzags
déconcertants, les bévues majeures et mineures – la saga finalement
plus triste que drôle de cet « impétueux » qui aura ouvert des
yeux, libéré des mots et procuré à la France l’aubaine d’une catharsis
opportune mais en courant comme un lièvre traqué à sa perte politique.
Le train traverse la France de Péguy (Beauce), de Genevoix (Loire), de George Sand (Berry), de Giraudoux (Limousin), et je crois lire le XXIe tome des Rougon-Macquart,
l’histoire d’un météore sorti de nulle part, qui affronta avec une
sorte de volupté ténébreuse les vents mauvais de l’Histoire en exerçant
sur un peuple médusé un règne fatalement précaire. Pauvre Sarko ! Je ne
regrette pas de l’avoir soutenu, on s’apercevra à la longue qu’il a
réveillé la France avec sa pédagogie à la hussarde, pas toujours
cohérente il est vrai, mais jamais insignifiante. Ce qui lui aura
manqué, c’est l’arrière-pays mental sans lequel on se fait rétamer par
les corps intermédiaires, cette glu de la « vieille France » de
Martin du Gard. La prescience des labyrinthes de l’inconscient national,
qui ne s’acquiert ni à l’Ena, ni dans les conseils d’administration, ni
dans les officines sociologiques. Personne autour de lui ne la
possédait. Dommage.
Samedi. Il pleut, mais le cerisier est en fleur et, si les verts sont
encore tendres, leurs harmonies annoncent un beau printemps. Enfin,
beau pour le “peuple de gauche”. Il déchantera à l’automne, mais il ne
veut pas le savoir. Au village, personne ne parle des élections. Cascade
de coups de fil éplorés : on va prendre une raclée. Réconfort a minima avec la victoire du Real sur le Barça et le nationalisme catalan, version hard de
nos ineptes pulsions régionalistes. Dimanche, je vote après la messe,
puis je descends à Tulle. Vingt heures. Ce n’est pas la joie, pas la
Berezina non plus. Avec des reports convenables des voix de Bayrou et
massifs de celles de Le Pen, ça peut passer. J’ai envie de le croire.
Des fans de Hollande klaxonnent dans les rues de Tulle, ça me rappelle
des souvenirs d’autres soirées électorales, dans la même ville.
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