jeudi 26 avril 2012
Délits d’opinion et police de la pensée
Il y a au moins en France une police qui fonctionne, c’est la police
de la pensée. Le ministre de l’Intérieur lui-même en a fait il y a peu
les frais pour avoir dit une banalité, à savoir que toutes les
civilisations ne se valent pas. Quelques semaines après ce “dérapage”,
la journée de la Femme nous a offert une curieuse illustration du double
langage de ces “indignés” à la carte.
Que dire en effet de l’étalage de la pensée Guéant chez ceux-là mêmes
qui venaient de la dénoncer : que n’a-t-on entendu sur ces
civilisations inférieures (comme eut dit Léon Blum, le saint patron de
la gauche) qui maintiennent la femme dans une position inadmissible eu
égard aux droits de l’homme et à la démocratie issus de nos Lumières ?
Là-dessus, c’est le premier ministre qui émet des doutes sur
le caractère authentiquement religieux des abattages rituels, dont
l’archaïsme apparaît aujourd’hui évident et devrait mobiliser tous les
défenseurs des animaux. Au contraire dénonce-t-on là un nouveau délit
d’opinion.
Il faut que ce soit Maurice Szafran qui, dans Marianne, apporte à ce débat raté une note de bon sens : « Il n’est pas […] admissible
qu’un consommateur désireux de ne manger de la viande qu’à condition
que la bête n’ait pas souffert soit dans l’impossibilité de le faire en
toute certitude. N’insistons pas sur les risques sanitaires propres au
halal et au casher, non plus que sur leur qualité gustative : chacun est
libre d’en discuter, comme des OGM, mais la moindre des libertés est de
pouvoir en décider soi-même. C’est pourquoi, oui, l’étiquetage
s’impose. C’est ce que demande d’ailleurs l’Europe, qui a fait de la
non-souffrance des bêtes par étourdissement préalable une règle
générale, tolérant des dérogations sous réserve de bien identifier la
viande. »
Dans son récent essai, la Conscience métisse, le philosophe persan Daryush Shayegan analyse le désastre de ce qu’il appelle l’idéologisation de la tradition «
lorsque la religion se laisse embarquer dans l’aventure de la modernité
dont elle ignore les conséquences catastrophiques, puis se trouve
captive dans le piège de la ‘‘ruse de la raison’’ ». En ce qui regarde l’islam, Shayegan relève quatre « modes de déplacement qui ont changé profondément la nature de la religion et de ses répercussions dans le monde ». Il évoque à ce sujet « un déplacement de l’eschatologie à l’historicisme », « un déplacement du sens culturel de la religion en tant que civilisation à son sens littéral », «
un déplacement de l’homme parfait, idéal de l’islam spirituel, au
révolutionnaire radical qui rappelle les nihilistes et anarchistes
russes des romans de Dostoïevski », enfin « un développement discursif où les versets répressifs éclipsent totalement la miséricorde (rahma) contenue dans le Livre sacré ».
La police de la pensée a encore de beaux jours devant elle,
surtout lorsqu’elle s’attaque aux mots. Ainsi, paraît-il, faudra-t-il
appeler madame des gamines de 12 ans. Ainsi, le candidat socialiste,
mais de moins en moins républicain, à la présidentielle envisage-t-il de
supprimer de l’article 1er de la Constitution un mot qui gêne quelques
trublions qu’il veut flatter, au lieu de se donner pour tâche, qui
serait pourtant essentielle, de rétablir dans toute sa rigueur ce
qu’édicte l’article 2 de ladite Constitution, qui n’a cessé d’être violé
au cours de ce dernier quinquennat, à savoir que « la langue de la République est le français ».
Mais il est sans doute préférable électoralement de se ridiculiser
plutôt que de respecter et de gratifier notre langue nationale dans son
être et dans son usage.
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