« La richesse fascine ceux qui en sont privés. Elle est tout à la fois objet de désir et de ressentiment, modèle de réussite et symbole d’injustice », résume le journaliste économique Thierry Pech dans son dernier ouvrage, le Temps des riches (Seuil).
4 000 euros par mois ? 8 000 euros ? 15 000 euros ? À partir de quel salaire est-on riche ? Les Français ont répondu à la question dans un sondage, réalisé en août 2011. En moyenne, ils considéraient qu’un ménage composé de deux adultes pouvait être considéré comme riche avec un revenu mensuel de 8 300 euros. Hasard ?
Ce seuil ressenti rappelle le chiffre de 4 000 euros évoqué en 2006 par François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste, pour désigner les riches. Encore plus étonnant, il correspond presque, selon l’Insee, au revenu mensuel moyen des 10 % des ménages les plus aisés (7 700 euros, avec deux salaires).
Des sommes considérées comme énormes pour les uns, et permettant à peine de vivre pour les autres. Le riche, pour la majorité des personnes interrogées, c’est celui qui gagne le double de leurs propres revenus. C’est ainsi que, pour 24 % des Français, un ménage est riche lorsqu’il gagne entre 4 000 et 5 000 euros.
Bien loin de la réalité… et des revenus des super-riches.
Il a fallu attendre 2010 pour que l’Insee réalise – enfin – une étude détaillée sur les très hauts revenus. Le “top 10”, constitué des 10 % des Français les mieux rémunérés. Effectivement, on entre dans ce top 10 à partir d’un peu moins de 4 000 euros imposables par mois. Avec 5 400 euros, on est éligible au club des 5 %. Pour pénétrer dans celui des 1 % les mieux payés, il faut franchir la barre symbolique de 10 000 euros, qui compte tout de même 580 000 Français.
Ensuite, l’échelle des revenus explose littéralement. Quand on entre dans le club, cette fois très restreint, des 0,01 %, celui des vrais “super-riches”, on doit gagner en moyenne 82 000 euros par mois. Là encore, il s’agit de moyenne. Leur revenu par unité de consommation (le premier adulte d’un ménage compte pour un, chaque personne de plus de 14 ans pour 0,5 et chaque enfant plus jeune pour 0,3) varie de 688 000 à plus de 13 millions d’euros annuels.
Ce sont ces 0,01 % qui sont au coeur de toutes les polémiques : comme les grands patrons du Cac 40 dont les revenus ont augmenté de 34 % en 2010, pour s’établir à un peu plus de 4 millions d’euros annuels. Même ceux dont les entreprises n’avaient pas été performantes. Sur le podium : Jean-Paul Agon, le PDG franç ais le mieux payé (L’Oréal) : 10,7 millions d’euros ; suivi de Bernard Arnault (LVMH) et Carlos Ghosn (Renault), à égalité : 9,6 millions.
Un quart des PDG du Cac 40 touche plus de 240 smic. Aberrant ? Les gains des PDG français sont dans la moyenne des salaires des patrons européens, qui s’élève à 3,9 millions, selon le rapport annuel du cabinet Proxinvest. Et la moyenne française n’atteint que 50 % de celle des Britanniques, 70 % des Italiens, 80 % des Espagnols et des Allemands. « Ces salaires n’en sont pas moins indécents », reconnaît l’entrepreneur Charles Beigbeder, fondateur du fournisseur d’électricité Poweo, qui rappelle, néanmoins, que les dirigeants des 250 plus grandes entreprises françaises, hors Cac 40, ont vu leur rémunération baisser de 17 % en 2010, pour s’établir en moyenne à 500 000 euros. Autre réalité que les quarante salaires hors norme du Cac ne doivent pas masquer : les patrons de PME gagnent en moyenne 4 000 euros par mois.
À part les grands patrons, qui sont les super-riches ? Un chercheur, Olivier Godechot, a étudié à la loupe l’évolution de la sociologie des super-riches. Ceux qui entrent dans la catégorie des 0,01 %. En 1976, les capitaines d’industrie se taillaient la part du lion : 38 % de ces très hauts revenus. Les secteurs des services aux entreprises (10 %) et de la finance (6 %) arrivaient loin derrière.
Trente ans plus tard, les cartes ont été rebattues. Parmi les plus hauts revenus, 26 % viennent dorénavant du secteur des services aux entreprises, 24 % de la finance, alors que les industriels ne re présentent plus que 14 % des effectifs.
Les sportifs de haut niveau sont entrés dans le palmarès, même s’ils ne re présentent que 1 % des super-riches. Au premier rang des quels on trouve bien sûr les stars du ballon rond, qui signeraient la mort du football français si, surtaxés, ils préféraient partir à l’étranger.
Les dirigeants d’entreprise sont les plus nombreux (25 %) pour un salaire brut annuel moyen de 225 000 euros. En revanche, les sportifs sont bien mieux payés : 445 000 euros.
Autre question cruciale : les riches sont-ils de plus en plus riches ? Olivier Godechot a également examiné attentivement l’évolution des salaires. Entre 1996 et 2007, les rémunérations des acteurs ont été multipliées par 1,5, celles des sportifs et des PDG par 3,3… et celles des cadres de la finance par 8,7. Les 0,1 % les mieux payés gagnaient 19 fois le salaire moyen en 1980. En 2007, ils percevaient 65 fois plus. Une approche contestée par certains économistes, qui soulignent qu’une comparaison entre le salaire moyen des Français avec une infime minorité, les quelques centaines d’hyperriches, n’a aucune va leur scientifique.
L’autre grande question, celle qui concentre toutes les polémiques et donne lieu aux plus belles empoignades, c’est bien sûr : “Les riches payent-ils suffisamment d’impôts ? ” Une chose est sûre, les super-riches sont loin d’atteindre le seuil de 50 % fixé par le bouclier fiscal. Selon l’Insee, avancent les “antiriches”, le seuil d’imposition moyen du club des 1 % les plus riches ne serait que de 25 %. Seuls 9 % d’entre eux reverseraient plus de 35 % de leurs revenus. Le tout, grâce aux réductions et aux déductions d’impôts permises par les niches fiscales. Mensonge, hurle le camp adverse, qui explique comment les chiffres sont truqués pour faire croire que les riches finissent, proportionnellement, par payer moins d’impôts que les pauvres.
Le ressentiment des “pro” riches est d’autant plus grand qu’ils rappellent que François Hollande, dans un débat avec l’économiste Thomas Piketty, le 28 janvier 2011 sur Media part, expliquait que l’idée d’un taux de prélèvement confiscatoire, sur une toute petite fraction des contribuables, ne produirait aucune recette et accentuerait les délocalisations fiscales. Peu lui importe de se contredire. Le candidat a réussi son coup. Depuis dix jours, sa proposition a effacé tout autre sujet de débat. Mieux, 57 % des Français se déclarent favorables à sa mesure, porteuse, selon eux, de “plus grande justice sociale”. Elle réussit même à emporter l’adhésion de 31 % de sympathisants UMP.
Quid des riches qui s’en iraient sous d’autres cieux fiscaux plus cléments ? Ils n’ont pas attendu la proposition de Hollande pour préparer leurs bagages, commencent à prévenir les fiscalistes. Nombre d’entre eux sont persuadés que les finances françaises sont tellement dégradées que, quoi qu’il arrive, la pression fiscale augmentera après la présidentielle. Quelque soit le nom du nouveau président.
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