jeudi 15 mars 2012
Invivable
Le 31 mars 1959, le XIV e dalaï-lama, la plus haute autorité spirituelle — et à l’époque temporelle — du Tibet, passait la frontière indienne avec une poignée de compagnons. Ainsi commençait un exil qui dure aujourd’hui depuis 53 ans.
Ce que fuyait ce jeune moine, après bien des hésitations, c’était la répression dans le sang de ce qu’on a appelé le soulèvement tibétain de 1959. Répression qui a fait, selon les sources tibétaines, plus de 85 000 morts, quelques milliers selon les sources chinoises.
Cette page d’histoire nous semble parfois bien éloignée de notre XXI e siècle. Elle est, dans la maigre bibliothèque de notre mémoire, rangée dans le même rayon que la « Marche du sel » de Gandhi (1930) ou la crise des missiles de Cuba (1962). Elle est l’un de ces événements dont on fait des films, des livres — qui nous touchent ou nous irritent — dont nous savons bien qu’ils ont infléchi l’histoire d’un coin du monde, mais dont nous ne voyons pas toujours le lien avec celui où nous vivons.
Et puis revient mars.
Et des moines, au Tibet, ou dans les zones tibétaines des régions voisines, s’immolent par le feu. Non pour échapper à l’inexorable roue de la souffrance, de l’attachement et de l’ignorance, mais pour appeler à la liberté de vivre et de croire sur leur haute terre et au retour de celui qui symbolise cette liberté dans son refuge indien de Dharamsala. Des blindés sont repérés dans Aba (Sichuan). Des Tibétains en exil dénoncent le quadrillage policier du pays, la colonisation à marche forcée et la répression civilo-religieuse.
Et, d’un coup, le Tibet n’est plus une image ancienne, dans un vieux livre d’histoire ou une BD mythique. C’est un drame d’aujourd’hui. Une situation qu’en 2012 des hommes trouvent tellement invivable — au sens strict — qu’ils décident de mourir pour nous le dire. Tandis qu’un vieil homme en Inde, prix Nobel de la Paix, souffre, compatit et témoigne. Lui n’a jamais oublié mars 1959.
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