Il arrive que les débats politiques soient des paradis artificiels où les arguments perdent totalement le sens de la réalité. Ainsi va la question de la dépénalisation du cannabis où le manque de lucidité le dispute à l’angélisme, et l’illusion à la raison. Tant de certitudes assénées font tourner la tête quand le bon sens n’a plus toute la sienne. Car enfin, qui pourra prétendre détenir la moindre vérité sur les moyens à employer pour limiter l’emballement de la consommation des drogues?
Une très large majorité de Français reste favorable à une interdiction pure et simple de la fabrication et de la vente du cannabis. Un pourcentage - 70 %! - qu’il faut rapprocher de celui, éloquent, du nombre de jeunes de 17 ans (l’âge moyen où on passe le bac) ayant déjà fumé, ou fumant régulièrement un joint: 49%. Interrogez vos ados: ils vous confirmeront que l’information est exacte et que le résultat serait même légèrement supérieur à la majorité absolue. A l’évidence, quelque chose ne colle pas, si on peut dire. Un pays moderne peut-il continuer à détourner pudiquement le regard quand il ferait sans doute mieux d’ouvrir les yeux sur un fait de société que personne ne peut plus ignorer?
L’autre réalité, c’est que la prohibition à la française, l’une des plus rigoureuses d’Europe, a totalement échoué à tuer le trafic et à dégoûter du pétard. Elle aurait même tendance à nourrir le premier et à stimuler le goût du second. Il faut bien l’admettre: l’interdit a eu pour conséquence d’enrichir les truands sans protéger les jeunes. Faut-il continuer comme ça? Certainement pas... Mais il y a bien un tabou sur le tabou, et la fermeté ne change rien à l’affaire. Tonton pourquoi tu tousses?
La levée de la prohibition préconisée par l’ancien ministre de l’intérieur Daniel Vaillant, avec beaucoup plus de précautions que ne le disent ses détracteurs, a le mérite d’ouvrir une piste de réflexion. Mieux vaudrait, dit-il, contrôler un produit en vente libre et «bio» (mais surveillé) que n’avoir absolument aucune prise sur un produit interdit et le plus souvent trafiqué qui circule au vu et au su de tout le monde. Une option qui n’est pas sans danger car si elle permettrait de régler une partie du problème en asphyxiant, partiellement, les ressources de nombre de petits caïds, nul ne sait comment une consommation totalement en roue libre pourrait dériver vers l’accoutumance à des drogues plus sévères. Les expériences des pays qui ont déjà expérimenté cette méthode ne sont pas toutes concluantes, loin de là et cela devrait inviter tous les procureurs à la modestie.
Le sujet nécessite le traitement le plus dépassionné, le plus libre et le plus large possible. A l’échelle de l’Europe? Ce dossier est l’affaire d’un continent. Pour le moment, il entretient surtout les volutes de notre petit univers politique. Qui partent en fumée, comme dirait Bashung.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire