TOUT EST DIT

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mardi 19 juillet 2011

Repolitiser la démocratie

Selon l'historien Pierre Rosanvallon, nous sommes entrés dans « un nouvel âge des démocraties » (1). Un constat qui peut sembler banal puisqu'il est du propre de la démocratie de changer d'âge, de se renouveler à la vitesse de la société et d'apparaître comme une idée perpétuellement « neuve » (2).

Depuis vingt ans, un profond changement est pourtant intervenu. La défiance de la société vis-à-vis du pouvoir politique a pris une intensité telle que Rosanvallon évoque une « contre-démocratie ». Pas une anti-démocratie, même si le populisme peut y conduire, mais une forme presque explosive de démocratie généralisée, niant le politique. Comme si la société prenait le pouvoir en prétendant faire l'économie du moment politique qui passe nécessairement par la représentation et l'élection. D'où la traînée de poudre des « indignés » et leur slogan : « Vous ne nous représentez pas ! »

Il y a bien des causes à ce divorce : le sentiment d'impuissance du politique face au chaos économique ; la conscience d'une injustice croissante ; le sacre de l'individu absolu ; l'élévation du niveau moyen d'instruction... Mais la vraie nouveauté est ailleurs.

D'abord, dans le formidable essor des techniques de communication qui ont facilité l'accès à l'information, devenue, par sa qualité et sa quantité, une arme de la surveillance des pouvoirs. Internet incarne aujourd'hui un pouvoir de vigilance, de notation, de dénonciation et, comme on l'a vu au cours du Printemps arabe, un formidable instrument de mobilisation.

Dans le même temps, il s'est révélé comme l'instrument d'un mode de relations fondé sur le choix. Chacun choisit son réseau qui rend la citoyenneté à la fois très courte (quartier, bande, association) et très longue (planète...), au risque d'oublier que la vraie dimension de la citoyenneté se situe entre les deux (nation, Europe...) dans un espace de solidarité, de partage avec les citoyens.

La nouveauté est aussi dans le conflit ouvert entre le temps de la société et le temps politique. La première est plus que jamais en « temps réel » : le désir et sa satisfaction doivent coïncider au mieux. « Je veux, donc je peux. » Internet et le portable entretiennent une illusion d'immédiateté qui crée une forme croissante d'impatience. « Attendre », qui se dit joliment en espagnol et portugais esperar, est devenu un mot archaïque. Même l'entrée dans l'ivresse s'accélère. Le binge drinking ou orgie d'alcool qui produit ses effets en une ou deux heures vient d'être détrôné par l'extrem drinking d'effet immédiat. Quel symbole d'une frénésie de l'urgence !

Comment, dès lors, s'étonner de lire, dans la presse, des titres tels que : « Six mois après le début de la révolution de jasmin, les réformes espérées tardent à venir. » Comme si les grandes révolutions pouvaient changer la société en quelques mois ! Celle de 1789 a mis plus d'un siècle.

Quoi qu'on fasse, et quelle que soit la tentation des acteurs politiques eux-mêmes de céder au court terme du temps médiatique et des échéances électorales, les politiques publiques ne se déploient vraiment que dans la longue durée : cinq, dix années et plus, dans le cas de l'environnement. Cela suffit à fonder la nécessité de repolitiser la démocratie.


(1) La contre-démocratie, Gallimard, 2006.

(2) La démocratie, une idée neuve, thème des Semaines sociales 2011.

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