TOUT EST DIT

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vendredi 22 février 2013

Pour en finir avec un mythe


Dans “le Mythe du grand silence”, François Azouvi fait un sort à l’idée selon laquelle la France, malade de son passé, aurait longtemps été incapable de scruter la Shoah.
Les légendes sont comme le chiendent, impossible de s’en défaire, surtout quand elles sont noires. Il en est une qui veut que les Français aient longtemps refoulé le souvenir de la Shoah au prix d’une amnésie collective — un trou noir de trente à quarante ans occupé par le grand récit gaulliste, la légende dorée de la Résistance, qui s’est fracassée au tournant des années 1970-1980.
Or, rien n’est plus faux, selon François Azouvi, philosophe, spécialiste de Bergson et de Descartes, qui, dans un livre magistral peuplé des fantômes de la déportation, le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la Mémoire, a rouvert le dossier à rebours des interprétations courantes. Il n’y a jamais eu de déni de la Shoah, sinon chez une poignée de négationnistes. Le processus de reconnaissance s’est, classiquement, diffusé par “cercles concentriques”, des élites à l’opinion, de l’espace public à l’espace institutionnel, le tout ponctué par le discours de Chirac en 1995.
Avant d’en arriver là, il a fallu prendre la mesure de l’événement. Les premiers à s’en emparer — et à le penser dans son irréductibilité — sont les écrivains catholiques, dès août 1944. Claudel, Mauriac, Maritain, Mounier, Gabriel Marcel, Julien Green et quantité d’autres, auxquels Azouvi rend un hommage appuyé. Il en ira de même des intellectuels protestants. Si les uns et les autres ont parlé si tôt et si fort du génocide, non sans culpabilité, c’est qu’ils disposaient, pour reprendre une expression d’Alain Besançon, d’un « schéma théologique cohérent de la Shoah », comme si l’histoire contemporaine bégayait une autre histoire, celle-là sacrée, consignée dans l’Ancien Testament.
C’est ensuite une foule de romans, récits et films qui vont introduire dans la culture populaire la réalité du génocide. Rien qu’en France, on dénombre pour la décennie 1950 quatre prix Goncourt consacrés au sujet. En 1956, sort Nuit et Brouillard, immédiatement salué comme un chef-d’oeuvre, ni plus ni moins que le Journal d’Anne Frank (1950), aujourd’hui décrié. On pourrait poursuivre la liste. En vérité, le flux des publications ne va jamais tarir.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le Mythe du grand silence, assurément l’ouvrage le mieux informé sur ce que les Américains appellent “la littérature de la Shoah”. Azouvi a tout lu, tout vu, tout décrypté. Son livre est si empli de connaissance — et de reconnaissance — qu’on serait bien en peine d’en donner seulement un résumé. Il est malheureux qu’il ait suscité aussi peu d’écho dans la presse. Non seulement il fait date par l’ampleur de la documentation, le sérieux de la mise en perspective historique, l’impartialité jamais prise en défaut de l’auteur, mais il offre aux Français la possibilité de panser leurs plaies, à défaut de se réconcilier avec leur passé.
Azouvi n’avance pas d’explication globale à ce “grand silence”, sinon la commotion que la Shoah a produite après coup sur les opinions publiques. Une sorte de stupeur rétrospective. Peut-être est-il permis aussi d’y voir l’effet de ce que Paul Yonnet avait naguère appelé le « malaise français », entretenu depuis les années 1970 par des historiens qui n’ont eu de cesse d’instruire le procès de notre pays, ce que Pascal Ory a désigné sous le nom de “rétro-satanisation”. À la longue, un ressort, essentiel dans la psychologie des peuples, s’est cassé : l’estime de soi. Parions que le livre d’Azouvi contribuera à la restaurer.

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