vendredi 22 février 2013
Au bonheur des médias
Tout peut se dire pourvu qu’on soit dans le “bon camp”, celui des censeurs qui passent leur temps à condamner les dérapages et exiger des excuses.
La société médiatique est devenue un tribunal, aveugle et acharné. L’adrénaline de l’information n’est pas engendrée par l’information elle-même mais par : 1. Le “scoop” ; le premier qui a annoncé l’événement a gagné, peu importe sa véracité ; 2. Le “dérapage”, piège verbal dans lequel tombe n’importe quelle chroniqueuse ou toute personne s’exprimant publiquement ; 3. La “petite phrase”, un mélange des deux précédents : elle est facile à retenir, raccourcie et permet une reprise médiatique ; 4. “Le couac”, autre version qui va mériter semonce ; il est une nouvelle pratique gouvernementale qui va croissant. C’est la façon pour un ministre de se faire connaître ou de tester une idée. C’est aussi une manière pour le premier ministre de prouver son autorité en rappelant à l’ordre. Pour la majorité c’est le signe du respect de la diversité des opinions ; pour l’opposition le signe de graves dissonances et de dysfonctionnements !
Messieurs les censeurs ayant plume, micro et pignon sur rue répètent jusqu’à l’usure les propos repris par d’autres. On reprend jusqu’à plus soif, jusqu’à ce qu’à la fin on ait oublié ce dont on parlait au début (personne n’a vérifié entre-temps).
Arrive alors une séquence très prisée : le temps de l’excuse. La tolérance absolue de notre société est directement proportionnelle à son intolérance à tout ce qui ne correspond pas au prêt-à-penser sociétal. On peut tout dire à condition que ce soit dans le créneau du politiquement correct. Ainsi, vous pouvez insulter les “forcément coupables”, tous ceux qui, de près ou de loin, sont au pouvoir, sont riches, bleus, blancs, blonds, ont réussi, veulent nuancer leurs propos, n’ont pas de “sensibilité” (de gauche), etc.
Dans les “épargnés” figurent souvent les femmes mais pas toujours, elles sont, selon les cas, “victimes” donc imposées par quotas, ou bien vraiment discriminées (par les mêmes qui imposent les quotas). Sont forcément épargnés aussi : le “jeune” (de préférence de banlieue), les minorités visibles, les homosexuels, les sans-papiers, les sans-emploi, etc. En d’autres termes, tous ceux qui ne risquent pas de faire l’objet de la jalousie démocratique et sociale et qui suscitent la compassion.
En fait, tout peut se dire à condition d’être dans le “bon camp”. Ce “bon camp” se rétrécit de mois en mois au fur et à mesure des problèmes économiques et des crises dans le monde. Le “bon camp”, ce n’est pas celui qui veut changer le monde, créer, entreprendre, émanciper, promouvoir, élever, éduquer, enrichir ; le “bon camp”, c’est celui qui réclame des excuses et de la repentance sur tous les tons et à tous — footballeurs, patrons, acteurs ou politiques —, celui qui veut prendre “l’argent où il est” pour le redistribuer.
Peu importe l’hypocrisie, peu importe l’inefficacité de la réponse, peu importe le motif, le moment, les circonstances. L’excuse est un tampon pour se dédouaner de la responsabilité individuelle, de la culpabilité collective. L’excuse, c’est un peu les jeux du cirque, on lève le pouce pour absoudre ou on le baisse pour condamner, et le pouce aujourd’hui s’exerce sur Twitter. “Joker” : on a présenté ses excuses (grammaticalement d’ailleurs on s’excuse soi-même, la faute de grammaire rend la chose plus confortable !). Le condamné s’en relève… ou pas. Il attend que l’orage médiatique passe, quelle que soit la faute réelle ou supposée ; il guette le tour du suivant, le prochain qui trébuchera et détournera l’attention. Sa faute présumée sera toutefois gravée dans son ADN puisqu’elle sera inscrite sur la Toile ou les réseaux sociaux.
La liberté d’expression n’a jamais été aussi revendiquée et aussi contrainte. Le lissage médiatique rétrécit la pensée en flattant “l’opinion publique”. De quelle opinion parle-t-on ? Et de quel public ? Tout le monde a un avis sur tout et au nom de l’égalité, tout est équivalent ; le discours d’un bac + 10 a la même valeur que celui d’un bac — 5, quel que soit le sujet. La revendication de la “liberté d’expression” limite notre choix de pensée au rayon d’un supermarché bas de gamme aux produits étiquetés avec la composition et la date de péremption.
Intox garantie !
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