Alors qu'arrive l'heure de la purge, ils bottent en touche, s'étripent sur l'actualité et laissent quelques rares volontaires monter au front, tel l'excellent M. Cahuzac, ministre du Budget, qui se retrouve maintenant avec un bouquet de fléchettes dans le dos et une affaire de compte en Suisse collée aux doigts comme le sparadrap du capitaine Haddock.
Mais on n'y coupera pas, il va falloir expier pour nos bêtises et nos lâchetés, après nous être ventrouillés si longtemps dans les orgies dépensières. La France ne s'en sortira qu'en tournant le dos à la politique du moindre mal qui, à force d'endettement, la conduisait peu à peu vers la déchéance. C'est ainsi seulement qu'elle pourra, enfin, se remettre au travail.
Après que M. Hollande a commencé à montrer la direction lors de sa dernière conférence de presse, la plupart de ses ministres se sont bien gardés de relayer son discours. "Tous aux abris !" Tel est le mot d'ordre qu'ils semblent s'être donné. Ils en étaient restés aux naïvetés du programme socialiste. Ils n'avaient pas été préparés, il leur faudra des cours de rattrapage.
C'est "l'ayraultvolution" : tandis que M. Moscovici parle à juste titre de "révolution copernicienne", M. Ayrault propose un "nouveau modèle français", fermement social-démocrate et franchement réaliste (1). En soi, l'expression du Premier ministre ne veut rien dire, mais elle signifie au moins que l'ancien est obsolète. Merci à lui de l'avoir reconnu.
Il a fallu arriver au bord du précipice pour que, dans les deux camps, la majorité de la classe politique rejoigne le cercle du bon sens et accepte l'idée qu'il est dangereux pour un pays de vivre au-dessus de ses moyens. Jusqu'à sa prochaine résurrection, c'en est donc fini du keynésianisme et des relances stupides qui, au nom de l'idéologie de la croissance presse-bouton, dopent les importations chinoises en finissant de massacrer notre industrie.
Le "nouveau modèle français", voilà bien l'occasion d'un grand débat national : depuis quelques décennies, notre pays a glissé sur une pente qu'il est urgent de remonter si l'on veut mettre fin à la déstructuration sociale et à la perte de repères qui font tout voler en éclats dans notre tissu urbain, sur fond d'exclusion et de ghettoïsation. Dopée, contrairement aux pronostics, par les résultats des dernières législatives partielles, la droite requinquée ferait bien d'y réfléchir au lieu de se contenter de slogans simplets : la France est son problème aussi.
Jusqu'à présent, le modèle social français que le monde entier nous enviait, paraît-il, n'était qu'une usine à gaz redistribuant de l'argent qu'on n'avait pas mais qu'on empruntait, le pompon étant la calamiteuse loi Aubry des 35 heures financée par la dette à raison d'une quinzaine de milliards au moins par an. Il fallait y penser : en France, nous nous endettons pour travailler moins !
Pendant ces années de laxisme généralisé, nos gouvernants de droite ou de gauche ont tout laissé filer. Pour preuve, la gabegie dans la formation professionnelle, la santé publique ou l'action logement (l'ancien 1 %), pendant que la part du secteur productif ne cessait de se rétracter et que le nombre d'entreprises industrielles baissait de 20 % en dix ans, ce qui s'est traduit par la destruction de 500 000 emplois. Mais qu'importe puisque, sur un point au moins, nous faisions mieux que l'Allemagne, avec deux fois plus de fonctionnaires qu'elle pour 1 000 habitants.
C'est ainsi que s'est écroulée la construction sociale sur laquelle la France avait vécu pendant plus d'un siècle, jusqu'à l'apogée des Trente Glorieuses. Aujourd'hui, nos structures urbaines sont comme une maison dont on aurait retiré les fondations. Non seulement l'usine est fermée, faute de compétitivité, mais les commerces disparaissent, victimes de la grande distribution ou des ventes en ligne. Sans parler de deux professions structurantes tout au long de la IIIe puis de la IVe République, les enseignants et les médecins : ils sont mis à la diète par un État-providence débordé qui n'a plus assez de cuillères pour nourrir tout le monde.
Les enseignants et les médecins français sont parmi les plus mal lotis d'Europe. Au lieu d'embaucher les premiers à tour de bras, M. Peillon serait bien inspiré de les augmenter. En début de carrière, le salaire d'un professeur de collège ou de lycée est deux fois moins élevé qu'en Allemagne, c'est tout dire. Quant à nos médecins généralistes, ils sont pareillement moins bien traités qu'outre-Rhin, où l'on affiche néanmoins des comptes de santé insolemment florissants. C'est décidément toute notre échelle des valeurs et des revenus qui est à revoir.
La France est encore riche, pourtant. Où est passé l'argent des taxes et des impôts ? Quand l'eau ne coule plus au robinet, c'est qu'il est temps de refaire la tuyauterie.
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