Dans la foulée de La Cité de la réussite, forum consacré au thème du partage, l’économiste et historien Nicolas Baverez revient sur la nécessité d’inventer un nouveau capitalisme et sur les dangers qui guettent la France.
Trois crises majeures restent devant nous : 1. La crise du capitalisme mondialisé, qui a été contenue à grandpeine par la politique économique depuis 2008. Le décollage des pays émergents s’est considérablement ralenti, ramenant le taux de croissance de l’économie mondiale à 2,5 %. Face à eux, les pays développés ne disposent plus de marges de manœuvre en raison d’un niveau d’endettement sans précédent des États, de l’installation durable des taux zéro et du gonflement du bilan des banques centrales. 2. La crise de la zone euro, qui cumule la récession, le chômage de masse et une menace sur la survie de la monnaie unique. 3. La crise française est en passe de s’emballer, avec l’effondrement de notre appareil productif et de la compétitivité de notre territoire.
La solution des grandes crises passe toujours par la transformation du capitalisme. L’invention du salariat a permis de sortir de la grande récession de la fin du XIXe siècle ; la régulation keynésienne et l’État providence, de surmonter la déflation des années 1930; la mondialisation, de dépasser les chocs pétroliers des années 1970. Les problèmes du capitalisme d’aujourd’hui ne pourront pas être résolus sans un changement des modèles économiques et sociaux, des innovations technologiques et des changements profonds dans les institutions, les normes, l’éthique des dirigeants.
La mondialisation dérégulée est morte. Le capitalisme universel doit s’appuyer sur une coopération entre des grands pôles et un réseau d’agences internationales spécialisées dans la gestion des grands risques : financiers, environnementaux, technologiques, sanitaires… Il existe un vrai potentiel de croissance avec la nouvelle classe moyenne des pays émergents qui rassemble 1 milliard d’hommes et en comptera 2,5 milliards dans vingt ans, avec l’économie de la connaissance et les activités liées à l’environnement.
La réponse protectionniste est un contresens complet. Elle est le meilleur moyen de relancer une grande déflation mondiale comme dans les années 1930. Les mots clés du capitalisme qui émergera de la grande crise actuelle sont productivité, réformes et coopération en Europe comme dans le monde. Pour la France en particulier, le protectionnisme serait suicidaire. Nous ne pouvons maintenir ni notre appareil de production, ni notre niveau de vie, ni notre protection sociale à partir d’un marché national de 65 millions d’habitants.
Il est sans précédent de voir un gouvernement condamner les conclusions d’un rapport qu’il a lui-même commandé avant même sa publication. Cela dénote de la persistance du déni concernant le déclin de la compétitivité des entreprises et du territoire français. Je ne connais du rapport Gallois que ce qui en a été dévoilé dans la presse, mais il proposait une stratégie globale de redressement qui allait dans le bon sens, en cumulant un choc de 30 milliards de baisse des coûts des entreprises et un effort de long terme sur la compétitivité structurelle : l’investissement, l’innovation, les filières de production. Avec sa mise à l’écart tout comme celle du rapport de la Cour des comptes qui offrait des clés pour relever nos finances publiques à travers un effort de 120 milliards d’euros sur cinq ans, nous perdons nos dernières chances de moderniser notre modèle économique et social avant la sanction prévisible des marchés.
Non, elle sera au rendez-vous de la récession! Elle est en croissance zéro depuis 2011. La richesse nationale a chuté de 2% et la production industrielle de 10 % depuis 2007. Le revenu par habitant est inférieur à la moyenne de l’Union et le pouvoir d’achat diminue. Le chômage réel touche 5 millions de personnes si l’on intègre les travailleurs exclus. Les profits, les investissements et la recherche des entreprises sont à un plus bas historique. La dette publique atteint 91% de notre produit intérieur brut. En bref, l’économie française est en train d’être happée par une spirale déflationniste. Depuis 2011, elle subit un choc fiscal sans précédent de 65 milliards d’impôts, soit 3 % de la richesse nationale, qui va lui porter le coup de grâce en transformant la stagnation en récession.
La priorité absolue, c’est un nouveau pacte productif qui passe par le relèvement de la durée du travail, préférable à la baisse des revenus, la diminution du coût du travail à travers la réduction des charges, les coupes dans les dépenses publiques improductives. Seul un choc de compétitivité peut nous permettre de lutter contre le chômage et le désendettement. Ce pacte doit avoir pour pendant un pacte social qui donne plus de flexibilité à l’emploi et plus de sécurité aux travailleurs français. C’est la condition pour enrayer l’inégalité croissante qui résulte de l’hyperprotection des uns compensée par l’exclusion des autres, à commencer par les jeunes, les immigrés et leurs descendants.
Notre démographie et notre main-d’œuvre, nos talents et cerveaux, nos entreprises engagées souvent avec succès dans la compétition internationale, nos infrastructures, une partie de nos services publics, notre patrimoine et notre culture, notre place centrale dans le grand marché européen. La particularité française, c’est que les fléaux de la sous-compétitivité, du chômage de masse et du surendettement de l’État ne remontent pas au choc de 2008 mais à trois décennies de croissance à crédit. Il ne dépend que de nous de cesser de dilapider nos atouts.
Il s’inscrit dans le droit fil de ce temps des crises. Lloyd Shapley et Alvin Roth ont été distingués pour leurs travaux sur l’ajustement de l’offre et de la demande en l’absence de prix. C’est précisément la situation qu’ont connue les marchés financiers au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008. Plus largement, leurs travaux sont fondamentaux pour comprendre le capitalisme universel du XXIe siècle qui superpose des marchés mondiaux, un système multipolaire, des valeurs et des institutions très différentes. Ces empilages créent des risques de défaillance ou d’effondrement des marchés qu’il faut connaître et prévenir.
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