TOUT EST DIT

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dimanche 4 novembre 2012

Misère de l’intelligence

La condition de porte-parole du gouvernement est ingrate par les temps qui courent. La jolie dame commise à ce sacerdoce s’évade quelquefois de la langue de bois rituelle pour émettre des propositions pittoresques. Ainsi a-t-elle souhaité abolir la prostitution, rien de moins.
Le voeu demeura pieux, mais l’imagination a gardé sa fertilité. À preuve cette suggestion de signaler dans les manuels scolaires les orientations sexuelles de nos personnages historiques. Il fallait y penser. Des générations de potaches ont végété dans le pire obscurantisme, ignorant si Vercingétorix était homo, Jeanne-d’Arc lesbienne, Ronsard bi, Voltaire trans. Je mesure par le fait le puits sans fond de ma propre inculture : j’ai lu nos classiques, et un peu nos modernes, sans savoir à quelles sauces mes écrivains de prédilection accommodaient leurs batifolages. L’ingénieuse ministre a cru devoir citer deux exemples d’auteurs qu’on ne saurait apprécier sans connaître les labyrinthes de leur sexualité : Verlaine et Rimbaud.

« Les sanglots longs /Des violons /De l’automne […] » : ces sanglots sont homos, il n’y a pas à s’y tromper. « Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course /Des rimes […] » : ce poucet ne saurait être trivialement hétéro. Pourquoi les profs ont-ils si longtemps mis sous le boisseau des vérités aussi capitales ? Il aura fallu attendre l’audace libératrice de ladite ministre pour envisager un terme à notre aliénation.
Trêve de c…ies ! Ce qui mérite d’être retenu, après cette ineptie ubuesque, c’est l’atonie du système médiatique. Journalistes et chroniqueurs auraient dû faire résonner un énorme rire rabelaisien. Or ils sont restés cois, comme s’ils ne savaient plus apprécier la différence entre une proposition politique “normale” et une vanne d’Alphonse Allais.
Supposons que la ministre persévère dans son étrange velléité pédagogique, et prenne le temps d’apprendre le rudiment de l’histoire de France. Elle risque d’être déçue en découvrant que l’écrasante majorité de nos héros, de nos grands écrivains, de nos grands hommes d’État et de nos grandes amoureuses fut irrécusablement hétéro. Elle pourra toujours rétorquer que certains refoulaient leur homosexualité pour n’être pas stigmatisés. Nul ne connaîtra ce sort à l’avenir car la même ministre, dont les neurones ne prennent jamais de repos, suggère que la politique du gouvernement soit communiquée aux citoyens, à part égale, par des hétéros et des homos. Ainsi la verra-t-on sur les écrans coprésenter au peuple français les initiatives de Hollande, Ayrault et consorts, avec un homo breveté. Beau si possible, pour qu’ils fassent la paire. Selon cette logique – si l’on peut dire – , elle devrait exiger une nouvelle “avancée” de la parité : chaque ministre serait flanqué d’un alter ego venu de l’autre rive sexuelle. Un homo, une hétéro ; une homo, un hétéro : enfin, la France incarnerait pour de bon ce paradis de l’égalitarisme intégral dont osaient à peine rêver Robespierre, Marat, Saint-Just, Lénine, Castro, Pol Pot et même Mengistu. Peut-être parce que ces apôtres de la table rase étaient hétéros. Ou du moins croyaient l’être.
Soit Mme Najat Vallaud-Belkacem tâche d’amuser la galerie avec du “sociétal”, à l’injonction de sa hiérarchie, pour escamoter de mauvaises nouvelles sur le front économique. Auquel cas elle s’acquitte d’un job moralement discutable. Soit elle croit à ce qu’elle nous raconte, et c’est un triste symptôme d’une intelligence dévoyée par sa soumission à l’air du temps. Beaucoup d’homos commencent à s’aviser qu’ils sont otages d’un parti pris d’indifférenciation. Ils perçoivent la manip d’une sollicitude qui les enrôle en vue de promouvoir une société où aucune norme n’aura plus droit de cité. Aucune frontière, dirait Régis Debray. Une société dont l’unique credo sera la morne équivalence de tout et de rien. Un androgynat au ras des pâquerettes, gris comme un ciel de novembre. Moins qu’une société : un agrégat informe d’individus sans domiciliation affective, spirituelle, esthétique. À la limite : sans désir et sans prochain. On n’est pas très pressé de choir dans cet enfer.

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