lundi 2 avril 2012
La France, problème de l'Europe
Aucun débat n'a lieu, ou presque, sur l'Europe. Les candidats
évitent le sujet. Parce que tout ce qui vient de Bruxelles est
impopulaire, mais pas seulement.
En 2008, l'Allemagne a été hésitante lorsque la crise demandait une réponse
européenne commune pour sauver les banques et pour relancer les économies.
Ayant digéré son unification, forte de dix ans d'efforts de compétitivité,
portée par les grands marchés émergents où elle accumule des succès, la
République fédérale s'est interrogée: a-t-elle encore besoin de
l'Europe?
Quand, deux ans plus tard, la crise de la dette grecque a
explosé, l'Allemagne s'est sentie carrément menacée: allait-elle être
aspirée vers le bas par ces pays du Club Med? L'Europe tournait-elle à ce
cauchemar qu'elle avait entrevu sans pouvoir le prévenir: les
contribuables allemands forcés à payer ad vitam pour les Grecs. L'«Union
de transferts» fiscaux du nord au sud, des fourmis aux cigales.
Le débat a été vif outre-Rhin. Le camp des eurosceptiques s'est renforcé.
Mais, au bout du compte, le choix a été fait. Oui, l'Allemagne a encore besoin
d'Europe. Oui, elle ne peut être seule face aux Chinois et aux Américains. Oui,
l'intérêt allemand, notamment l'intérêt industriel, est de continuer d'avancer
vers l'intégration du continent.
Et après le débat, l'Allemagne a investi le
champ des propositions. Au nombre de deux: il faut d'abord rétablir,
cette fois très fermement, la rigueur des budgets (c'est fait avec le nouveau
pacte budgétaire) et il faut relancer l'Union politique (cela reste à faire).
En France, aucun débat n'a lieu, ou presque, sur l'Europe. Les candidats
évitent le sujet. Parce que tout ce qui vient de Bruxelles est impopulaire,
mais pas seulement. Le désarroi français vis-à-vis de la construction
européenne est en réalité très profond. Les anti-Européens occupent les deux
extrêmes de l'échiquier politique qui représentent un tiers de l'électorat. Et
les deux grands partis, UMP et PS, sont coupés en deux. La fracture apparue
lors des référendums n'a jamais été réduite depuis. Songez que François Fillon
et Laurent Fabius ont voté non.
D'où vient ce désarroi? Du concept même de la nation. La France était
pour la construction européenne lorsque celle-ci devait aboutir, un jour, à une
véritable nation à son image. Ce rêve s'est heurté aux réalités trop
disparates. Il s'est brisé, peut-être dès le jour de l'entrée de la
Grande-Bretagne, sûrement à Maastricht lorsque la décision de faire l'Union
monétaire s'est doublée de celle de ne pas faire l'Union politique.
Depuis, son
rêve évanoui, la France, de droite comme de gauche, s'est repliée sur le
concept d'Union d'Etats-nations. Sous l'influence d'un Chirac et d'un Jospin,
le Conseil européen n'a cessé de reprendre du pouvoir sur la Commission.
Nicolas Sarkozy n'a pas dévié d'un pouce de cette ligne antifédérale.
Or, la crise est celle de cette Europe-là. L'Union monétaire laissée seule a
provoqué la divergence des économies et non pas leur rapprochement. Il faut
aujourd'hui reprendre le chemin en avant et repenser l'Europe économique comme,
en parallèle, l'Europe politique. Mais, sur ces deux sujets, la France est trop
muette.
Le camp de Nicolas Sarkozy a tort de reprocher à François Hollande d'avoir
annoncé vouloir «renégocier» le pacte budgétaire européen. Le
candidat socialiste eut mieux fait de dire «compléter» au lieu de
«renégocier», mais, sur le fond, il dit tout haut ce que tout le monde
pense en France (et pas seulement en France): il faut ajouter un volet
croissance au pacte budgétaire. L'Union économique ne peut pas marcher si elle
se borne à l'austérité budgétaire «à l'allemande»: les
Français ont raison.
L'ennui est que les idées françaises sont soit récusées d'avance par Berlin
(le protectionnisme, les eurobonds, la révision des statuts de la banque
centrale) soit peu nombreuses et insuffisamment élaborées.
Paris, qui réclame depuis vingt ans «un
gouvernement économique», est toujours incapable de lui donner
un contenu convaincant, partagé, qui amène une convergence des productivités et
qui muscle la croissance des Dix-Sept ou des Vingt-Sept. Ce projet économique, comme le dit
Philippe Herzog de Confrontation Europe, doit être vaste, comprendre la
monnaie, le grand marché, la politique industrielle, une régulation de la
finance et déboucher, «d'ici à deux
ans», sur un projet d'Union politique. Encore faudrait-il que
la France accepte de céder une part de souveraineté: débat absolument
tabou de ce côté du Rhin.
A cloche-pied sur l'Union économique, paralysée sur l'Union politique, la
France, naguère créatrice de l'Europe, en est devenue le problème principal. En
2012, quatre ans après l'Allemagne, il serait temps qu'elle retrouve sa
tradition, sa vocation et sa force fédérale.
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