jeudi 22 mars 2012
Surgi des ténèbres
Dans le chœur de Saint-Louis des Invalides, une violoniste de la
musique de l’armée de terre interprète le Concerto de l’adieu écrit par
Georges Delerue pour Pierre Schoendoerffer et son film Diên Biên Phù.
Sa famille, ses amis, le gouvernement, les chefs des armées retiennent
leur émotion en cet ultime hommage au cinéaste des servitudes et
grandeurs militaires.
À la même heure, à Toulouse, d’autres familles, effondrées, sous le
choc, en larmes ; des fourgons noirs viennent d’emporter les corps de
deux petits garçons et de leur père, et celui d’une petite fille, tous
juifs, tous assassinés à la porte de leur école. On était le
19 mars 2012, jour de tragédie. Cinquante ans après un autre 19 mars,
jour funeste.
En exergue de son roman le Crabe-Tambour, Pierre Schoendoerffer cite ces lignes de Joseph Conrad : « Bien
entendu, vous pouvez être trop sot pour risquer de vous dévoyer, trop
borné pour soupçonner même que vous êtes assailli par les puissances des
ténèbres. » Le criminel de Toulouse et de Montauban a surgi de
l’anonymat des ténèbres pour tuer au grand jour. Il a tiré à bout
portant sur quatre parachutistes puis sur quatre enfants et un jeune
rabbin. Il a tout calculé. Il n’a laissé aucune place au hasard. Tueur
de sang-froid. Cruauté atroce.
Il a profité de la campagne électorale où les médias sont sur le pied
de guerre pour commettre ses crimes : le 11, le 15, puis le 19, de
quatre jours en quatre jours. Il a cherché le retentissement maximal
dans l’opinion publique. Il a d’abord frappé un régiment du génie
parachutiste, déjà meurtri en Afghanistan, puis il s’est posté à
l’entrée d’une école juive et il a fait feu, à l’arme de poing. Il
voulait que le retentissement de son crime fût mondial : il l’est. Il a
agi dans une totale impunité, malgré le plan Vigipirate, les écoutes de
portables, les caméras vidéo, les empreintes numériques. Pas de
revendication, d’exigence, d’appel. Un tueur qui joue avec les nerfs
d’une nation – et au-delà d’une nation, avec ceux du monde civilisé.
Le président de la République a choisi le recueillement, et, en
suspendant sa campagne, il a suspendu celle de ses concurrents (sauf
François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon). Chef de l’État, il a envoyé à
Toulouse le ministre de l’Intérieur avec l’élite de ses enquêteurs. Le
maillage informatique et policier va-t-il avoir raison du tueur sorti
des ténèbres ? C’est la seule chose qui compte.
Jusqu’à ce mercredi, journée d’obsèques et de prières, après le
silence du respect, les candidats promettaient de s’abstenir d’élever la
voix. Mais la tentation est grande, irrépressible même, d’aller
chercher à ce crime des causes et des racines, pour pouvoir désigner des
boucs émissaires politiques. Ils vont creuser dans la société malade,
les fractures sociales, les anathèmes, la stigmatisation de tel ou tel,
le mal-être et, pourquoi pas ? le discours de Grenoble de Nicolas
Sarkozy, au mois de juillet 2010, ou les déclarations de Claude Guéant
sur les civilisations il y a quelques semaines. François Bayrou y a
songé, dit-il. Peut-on profiter d’un tel crime pour faire taire son
adversaire politique ? Cela ne mériterait que le mépris et
l’indignation.
On aura tout le temps de se livrer à toutes sortes de commentaires
sur le profil, les antécédents, les motifs du comportement de ce
psychopathe. Mais au préalable, l’urgence c’est de l’arrêter, de
l’empêcher de nuire à nouveau, comme tout criminel récidiviste.
L’arrêter. Et par tous les moyens. Or, campagne électorale ou pas, il
n’y a que deux responsables capables d’atteindre ce résultat en faisant
travailler ensemble les enquêteurs de tous les services de police et de
renseignement nuit et jour, et ces deux hommes sont le président de la
République et le ministre de l’Intérieur. À eux le devoir et la charge.
En s’installant dans son bureau de l’Élysée, le premier jour de son
quinquennat, Nicolas Sarkozy posa sur une tablette l’insigne du Raid,
l’unité d’élite de la police. Le Raid, parce que ses hommes abattirent,
le 15 mai 1993, le criminel “Human Bomb” qui avait investi une
maternelle à Neuilly et pris des tout-petits en otages. Ce criminel-là,
Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville, l’avait eu en face de lui. Il
l’avait regardé dans les yeux. Il s’était “construit” dans ce drame. « Pour moi, dira-t-il à Catherine Nay, cette
prise d’otages a été un moment capital, décisif : j’ai appris ce qu’est
la peur et comment la dominer. Surtout, j’ai ressenti le poids des
responsabilités. » De tous ceux qui se présentent aujourd’hui aux Français, il est le seul à pouvoir le dire. Et les autres le savent.
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