samedi 17 mars 2012
La gauche ultralibérale
L’ultralibéralisme n’est pas mort. Souvenez-vous : à l’heure du
triomphe de l’économie financiarisée, il prétendait que rien ne devait
faire obstacle au marché. L’État ne devait pas fixer des normes, la
morale n’avait rien à voir avec l’équilibre de la société, la protection
de la nature était une lubie de marginaux passéistes.
Son credo était la consommation. Son obsession, la dérégulation. Sa
référence, l’individualisme. Cet ultralibéralisme nous a entraînés dans
la crise écologique et économique que nous traversons. Il a écrasé les
plus faibles et produit des injustices inouïes. Il nous a conduits à
détruire notre propre environnement, dans l’aveuglement consumériste qui
nous saisissait. La crise a été la douloureuse occasion d’une prise de
conscience salutaire : nous avons reconnu que l’homme et la société ont
besoin de limites. Qui ne partagerait aujourd’hui l’idée qu’il faut
réguler et moraliser l’économie ?
Et pourtant, par une ironie de l’histoire, l’ultralibéralisme
n’est pas mort : il s’est réincarné, triomphant et indiscuté… dans le
projet politique de la gauche. La tentation ultralibérale est
évidente dans les options des candidats de gauche sur chacune des
questions de société : fin de vie, bioéthique… Les chercheurs veulent se
servir de l’embryon comme d’un matériau ? Les couples homosexuels
demandent à se marier ? Quels que soient les sujets abordés, la réponse
est identique : tout désir est légitime ; toute limite est rétrograde.
La dérégulation est en marche. Elle se fonde sur le même cliché, celui
d’un sens inéluctable de l’histoire, dans lequel la morale commune fait
figure de fossile encombrant.
La contradiction la plus frappante concerne notre rapport à la nature
: nous avons compris qu’il n’y avait pas de développement durable sans
le respect des équilibres naturels que nous avions tant méprisés. Nous
savons désormais que la sobriété, le discernement, la maîtrise de nos
désirs peuvent seuls préserver l’équilibre fragile qu’un consumérisme
sans frein détruirait et qu’il y a une sagesse dans le fait d’écouter
cette nature, qui nous apparaissait il y a encore peu de temps comme un
obstacle insupportable à notre liberté.
Le nouvel ultralibéralisme affiche pourtant sans complexe, parmi tous
les dogmes de l’ancien, son mépris profond de la nature. Loin de
vouloir écouter notre propre nature, avec ses contingences et sa
fécondité propres, avec les obstacles qu’elle impose au projet de notre
toute-puissance, il est déterminé à balayer toute prudence. La politique
doit nous aider à écraser la nature qui nous résiste, et la science est
sommée de coopérer pour satisfaire toutes les demandes qu’elle frustre
encore. Si deux femmes veulent avoir un enfant ensemble, la nature est
coupable de le leur refuser : il y a “désir d’enfant”, ce désir doit
être satisfait. Respecter la complémentarité naturelle de l’altérité
sexuelle, les processus biologiques, physiologiques de la parenté et de
la filiation, voilà une idée intolérable. Au lieu de se borner à
préserver l’équilibre naturel de la santé, la médecine devient
prestataire au service de clients qui expriment leur commande : je veux
changer de sexe, je veux enfanter sans union amoureuse… On finit par
demander à la science de forcer la nature pour donner la vie – et la
mort.
Ce projet a la même cause que l’ultralibéralisme de marché : une
volonté prométhéenne de faire des choix individuels la mesure de tout. Il
a aussi les mêmes conséquences. On refuse les techniques de
fracturation hydraulique dans lesquelles les firmes pétrolières trouvent
leur intérêt, au motif qu’elles constituent un risque potentiel pour
l’environnement. Mais qui pointera les dangers de l’accélération de la
fracturation de la famille, concédée aux caprices individuels ? Jouer
aux apprentis sorciers en prétendant réinventer les structures
familiales pour les plier à l’arbitraire de nos désirs, n’est-ce pas
abandonner tout principe de précaution ? Comme toujours, les plus
fragiles seront les premiers touchés. Le plus fragile, c’est ici
l’enfant, perdu dans une famille décomposée à force d’avoir été
recomposée, détruite à force d’avoir été soumise à nos individualismes
irresponsables. Tout ce que nous ferons contre la stabilité du modèle
familial, nous le ferons contre l’épanouissement des enfants, et pour
notre propre malheur : enfermé dans le royaume de ses désirs, l’individu
de la société ultralibérale est le plus isolé. Le nombre de personnes
vivant seules a augmenté de plus de 50 % en vingt ans ; il est permis de
ne pas y voir un succès.
Il est temps de reformuler ensemble les choix de société qui nous
attendent, en nous rappelant ce que nous dit notre expérience la plus
récente : ce n’est pas dans la revendication d’une liberté absolue que
nous construirons une société pour tous. Le politique qui sait fixer des
règles, appeler au respect de notre nature, est le seul qui puisse
promettre un développement durable, une égalité réelle et une liberté
responsable. La gauche s’opposera-t-elle au progrès ?
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