TOUT EST DIT

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lundi 7 novembre 2011

"Il y a une injustice institutionnalisée en Grèce"

Le rendez-vous aura lieu très vite. Parce que Petros Markaris est un homme très en colère. L’écrivain prolifique grec, aussi célèbre dans son pays qu’en Allemagne, estime que la Grèce est devenue un véritable asile de fous depuis la décision du Premier ministre Papandréou, il y a quelques jours maintenant, d’organiser un référendum face aux exigeantes demandes des responsables de l’Union européenne. Cet écrivain de 74 ans qui a crée le personnage du commissaire Charitos, égratigne souvent l’Union européenne dans ses romans mais dénonce aussi la corruption galopante des dirigeants politiques et économiques grecs qui ont profité, depuis l’entrée de la Grèce dans la zone Euro, de cette manne financière. 
La Grèce doit-elle sortir de la zone Euro?
Il n’y a aucun doute, la Grèce a fait un grand pas en avant en entrant dans l’Union européenne. Mais son entrée dans la zone Euro, maintenant j’avoue que j’ai d’énormes doutes. Je pense que cette entrée a en quelque sorte piégé la Grèce, dont l’économie était basée à majorité sur les petites et moyennes entreprises. On a donc commencé à importer un peu puis très vite beaucoup et la production locale est devenue hors de prix, bien évidemment. C’est le problème du labyrinthe. Si vous vous retrouvez devant, vous n’êtes pas obligé d’y entrer, mais si vous vous choisissez de le faire, alors il devient obligatoire d’en trouver la sortie.

La crise qui secoue aujourd’hui le pays relève-t-elle davantage d’une crise politique?
Incontestablement. C’est une crise du système politique que nous vivons depuis plusieurs années. La crise économique n’est que le résultat. C’est comme si aujourd’hui, tout se voyait enfin, qu’on ne pouvait plus rien cacher. La crise prend ses racines dans les années 80, date à laquelle les gouvernants décident de prendre l’argent de l’Europe. Seulement voilà des années plus tard, aujourd’hui, il n’y a plus d’argent. On est tombé dans une situation virtuelle, on a l’impression qu’on a beaucoup d’argent mais en réalité on n’en a pas. On ne cesse de dire qu’on appartient à l’Europe mais ce qui intéresse tout le monde en fait c’est Chypre, la Macédoine… On a crée une illusion. Le seul à avoir compris ce que voulait dire être Européen, c’était Kostas Simitis (Premier ministre Pasok qui connut deux mandats, en 2004 et 2009).
L’Union européenne est-elle en danger?
Je pense effectivement que c’est aussi une crise européenne qui apparait chez le maillon le plus faible, un pays du Sud. Mais c’est bel et bien une crise de l’Europe. Tant qu’il y avait un partage des décisions politiques et économiques, l’attelage semblait tenir bon mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’Allemagne et la France n’arrivent plus à convaincre. Donc l’Europe n’est que dans la réaction. Et ce sont toujours des réactions par à-coup, et à chaque fois les pays les plus faibles se recroquevillent toujours un peu plus. C’est Le masque de la mort rouge d’Allan Edgar Poe et traduit par Baudelaire!
Comment avez-vous vécu la conférence de presse, au cours de laquelle, Nicolas Sarkozy a très clairement déclaré que si la Grèce n’était pas en mesure de tenir les exigences demandées, elle devrait envisager une sortie de la zone Euro?
Ce fut une humiliation pour la Grèce. Cela a donné la possibilité à l’Europe de virer la Grèce!

Que pensez de Georges Papandréou et de sa tentative d’organiser un référendum?
En 2009, j’étais avec des amis et on discutait ferme. Tous disaient, on va voter Papandréou. Mais moi j’ai répondu "un jour je serai innocent, je n’ai pas voté Papandréou". Ce jour est arrivé. Cette histoire de référendum est un désastre politique. On sait tous qu’il s’est réuni dimanche soir dernier chez lui avec trois de ses collaborateurs. On dit que deux d’entre sont idiots, moi je dis qu’ils étaient tous idiots! Papandréou a pris cette décision tout seul avec trois imbéciles. Papandréou n’a fait que ce qu’il avait déjà fait, en 2007. A cette époque, il avait crié haut et fort "je démissionne" et puis il a fait volte-face. Aujourd’hui, il recommence! Un journal britannique sérieux a posé la question cette semaine, "Papandréou est-il un fou ou un génie?" C’est un idiot, c’est tout.
Mais les Grecs n’ont-ils pas eux aussi une responsabilité? On les accuse souvent de ne pas payer leurs impôts par exemple.
Des gens qui essaient de ne pas payer leurs impôts, il y en a partout. Mais ici, face à l’Etat, le citoyen grec, depuis 1981, a le sentiment qu’il ne doit rien à cet Etat qui ne lui donne rien. C’est évidemment une raison ridicule mais qui cache une vérité : l’absence de respect des institutions et des citoyens de la part des différents gouvernements grecs. Les institutions ne se résument pas à des défilés. Ce sont des gens honnêtes qui paient la crise, ces gens mêmes qui paient honnêtement leurs impôts! Il y a une injustice institutionnalisée en Grèce. C’est un cancer qui ronge le pays et les politiques, coupés du peuple, joue cette partition entre eux, comme si de rien n’était.
La Grèce est-elle au bord du chaos, voire d’une guerre?
Oui, il y a comme un climat de guerre civile en ce moment, dans le pays. La Grèce depuis sa création n’a vécu qu’une succession de catastrophes. Mais le pays entrevoyait des perspectives. Aujourd’hui, il n’y a plus d’espoir et c’est cela qui tue le peuple. On sait tous que l’on va vers une catastrophe. D’ailleurs, si l’on enlève le crime organisé, le crime économique, il ne reste aujourd’hui que toutes ces violences qui ont lieu depuis 2008. Mais ces violences ne sont que la résultante d’un dépassement des limites de l’être humain. C’est le système politique d’aujourd’hui qui poussent les gens dans leurs retranchements et les forcent à user de violence.
Comment vivez-vous ces moments, vous l’écrivain?
Je ne respire plus. D’ailleurs, j’attends lundi parce que je pars quelques jours. Je ne peux absolument pas écrire en ce moment.
Où se situe votre prochain roman?
Ici, mais par le plus grand des hasards, j’avais décidé de remonter le temps et de revenir à la drachme. Je ne pensai pas que l’Histoire allait me rattraper. C’est comme si le Temps rattrapait le pays.

Le Che se suicide, aux Editions du Point Seuil, et L’Empoisonneuse d’Istanbul au Seuil policier.


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