Le rêve est aujourd’hui réalité. Sur le plan administratif et juridique, le continent est l’espace économique le plus solide de la planète. Sans conflits internes, sans pauvreté de masse, sans dictature. Et maintenant ? Maintenant, l’Europe est au bout du rouleau.
Le rebut monétaire d'une petite bande de banquiers
La devise commune s’effondre, transformée en rebut monétaire par une petite bande de banquiers et d’économistes aux abois à coups de renflouements d’urgence. L’UE ne conçoit l’immigration que par des hordes désespérées qui jouent à la roulette russe dans des barcasses de fortune sillonnant la Méditerranée. Face à la libération du Proche-Orient, chaque pays se lance dans sa propre guerre coloniale. Ou détourne pudiquement le regard.Aujourd’hui, les producteurs de légumes italiens apprennent à leurs dépens ce qu’est un marché commun : quand, à cause d’une bactérie mortelle à Hambourg, ils ne peuvent plus exporter leurs produits en Russie. La France défend l’énergie nucléaire à la frontière allemande, tandis que les Allemands, eux, préfèrent fabriquer des éoliennes. Dans l’espace Schengen, les Danois construisent des préfabriqués pour abriter de tout nouveaux douaniers, parce que désormais, c’est de l’étranger que vient tout le mal. Et qui va expliquer à un ouvrier slovaque que sa retraite est aujourd’hui fichue parce que ces fraudeurs de Grecs veulent continuer à se la couler douce dès l'âge de 53 ans?
Faut-il vraiment s’étonner si les discours sans pitié contre l’UE récoltent en ce moment près de 20% des voix ? Ce qui est énigmatique, en revanche, c’est que la proportion de ceux qui souhaiteraient en finir tout de suite reste si faible. Et si l’Europe suscite encore l’approbation, c’est uniquement à cause du passé.
Le citoyen complètement oublié
L’UE, avec ses ordonnances toujours plus nombreuses, qui ont imperceptiblement lié tous les Etats membres, est passée par la porte de derrière. Au début, il n’était question que d’acier et de la ferraille issue de la guerre. Puis, d’un accord sur la production de charbon. Ensuite, sur la production d’électricité. Après, il a été question d’agriculture. De douanes. De justice. De contrôles aux frontières. Et de monnaie. Et maintenant, de tout. Sans qu’un seul citoyen ait jamais été consulté.Ce n’est pas par hasard qu’Hans Magnus Enzensberger a fait de l’Europe – le "doux monstre de Bruxelles" – sa nouvelle tête de Turc. Loin de déplorer les conquêtes civilisatrices de l’Union européenne, Enzensberger voit dans Bruxelles – son centre bureaucratique – un malfaiteur menaçant par sa folie centralisatrice et réglementatrice de transformer le continent en véritable "maison de correction".
Représentant de la première génération européenne à vivre en paix, il brise avec délectation un certain tabou en s’en prenant ainsi directement à l’Union européenne. Cela en fait-il un allié des Geert Wilders, Kaczynski, Le Pen et tutti quanti ? Evidemment non. Le "cancer" du "populisme de droite" dont parlent tous les médias n’est en réalité rien d’autre qu’une idéologie confuse et xénophobe ne reposant que sur un seul véritable ressort : celui du nationalisme.
Instinctivement, des masses d’électeurs européens se tournent aujourd’hui vers l’ordre ancien parce que le nouveau ne fonctionne pas.
Voilà le véritable problème. L’Europe est, selon la formule d’Enzensberger, un phénomène "post-démocratique". Dans la plupart des pays membres, le projet européen était la seule solution possible, si bien que ni la création de la CEE, ni les accords de Schengen ou l’introduction de l’euro n’ont été soumis à un vote. La richesse était comme automatiquement créée par le biais de l’ouverture des marchés et des aides structurelles, si bien que même des nations aussi fières que la Hongrie et la Pologne ont accepté sans rechigner de céder leur souveraineté fraîchement acquise à l’autorité de Bruxelles.
Il faut stopper la machine trop complexe de Bruxelles
Même avec la meilleure volonté de la classe politique, tout cela n’aurait jamais pu fonctionner car il manque à l’Europe quelque chose de fondamental : une opinion publique commune. L’Union européenne nous apporte la preuve que la démocratie ne peut exister sans un discours commun.Les membres du Parlement européen, qui n’a de toute manière pas grand-chose à dire, sont élus dans le cadre de campagnes nationales. Les informations, les personnes, les traditions et les manières de s’affronter sont restées purement nationales. C’est pourquoi les majorités de droite comme de gauche se trouvent régulièrement en butte aux partis établis dès lors qu’il s’agit de l’Europe. La majorité des élites internationales, polyglottes et liées entre elles, ne suit tout simplement pas.
L’Europe doit alors être limitée à ce que les Européens arrivent encore à comprendre et à sanctionner lors des élections. L’Europe ne doit pas être la machine à lobbies et à compromis qu’est devenue Bruxelles et dont sont issues 80% de nos lois. L’Europe doit seulement être une Europe des démocraties.
Aujourd’hui, nous ne pouvons aider l’Europe qu’en stoppant la machine trop complexe [de Bruxelles]. Tous les mécanismes de prise de décision doivent redevenir démocratiques, puis nationaux, régionaux ou locaux. Tout élargissement doit être arrêté et l’euro va de toute façon disparaître.
D’ailleurs, il existe un pays qui a déjà achevé sa phase nationale et s’en remet entièrement à l’Union européenne. Il s’agit, et ce n’est pas un hasard, du plus européen de tous les pays : la Belgique. La démocratie s’y est noyée dans un marchandage d’intérêts régionaux. On y tient des élections mais il n’y plus de gouvernement. Les fonctionnaires s’occupent des affaires courantes sous la bride de l’Europe, sans grand bouleversement. La souveraineté du peuple et la politique ne veulent à proprement parler plus rien dire. Si nous voulons éviter ce sort, l’Europe n’a pas d’autre choix que de retourner à la nation et à la démocratie.
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