vendredi 10 juin 2011
Le choix de la Grèce : l'empire ou la mort ?
Mercredi 2 juin, Jean-Claude Trichet a proposé l'institution d'un ministre européen des finances, chargé non de gérer le budget fédéral mais de contrôler les finances et les politiques de compétitivité des Etats nationaux. Le président de la Banque centrale européenne (BCE) s'est permis cette sortie alors qu'il recevait le prix Charlemagne, à Aix-la-Chapelle, capitale du premier empire européen. Les symboles ont leur importance : celui-ci montre que le problème des dettes publiques européennes est avant tout une question politique. La Grèce aura à choisir entre la ruine économique et l'abolition de sa souveraineté. Voyons pourquoi.
La Grèce est insolvable : elle ne dispose pas des revenus futurs suffisants pour rembourser sa dette publique, qui s'élève à 144 % du PIB. Le plan de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI) de mai 2010 reposait sur l'idée fausse qu'il s'agissait d'un problème de liquidité. Les réformes structurelles rapides devaient permettre de relancer la croissance et les prêts de répondre aux besoins temporaires de liquidité, avant un retour sur les marchés en 2012. L'erreur résulte du fait qu'un tel plan n'est réalisable que si la demande extérieure se substitue immédiatement à la demande intérieure, ce qui exige une dévaluation, chose impossible dans la zone Euro.
La conséquence est que la Grèce va faire défaut. La seule question est de savoir qui va supporter les pertes, ce qui dépend du timing de l'opération. Soit la Grèce fait défaut demain et les pertes sont supportées par les banques et les assurances européennes. Soit elle fait défaut dans quelques années et les pertes seront supportées par les contribuables européens qui auront consenti aux prêts ayant permis à la Grèce de vivre jusqu'à là.
Qui va décider ? Les Européens puis les Grecs. Les Européens doivent choisir entre laisser tomber la Grèce ou payer. La seconde option devrait s'imposer : un défaut souverain est, selon Christian Noyer, le "scénario de l'horreur", un Lehman Brothers puissance 10, du fait des pertes pour les institutions financières privées et publiques et de la contagion possible à d'autres pays. La peur va contraindre les Européens à prêter et à préparer leurs populations à des pertes futures. Ils vont aussi tenter de les limiter en exerçant une pression politique intense sur la Grèce pour que les réformes soient effectives et récupérer ses actifs comme garanties.
Le choix de la Grèce est alors entre l'empire ou la mort. Si elle refuse les conditions des prêts, elle fait immédiatement défaut, ce qui conduit à la faillite immédiate de ses banques, à la sortie de l'euro et à une inflation massive du fait de la monétisation de toutes les dettes : c'est la mort économique sous forme de chute brutale du niveau de vie. Si elle accepte, elle se soumet au contrôle des représentants des institutions européennes et des Etats prêteurs et doit liquider ses entreprises publiques : c'est l'empire sous forme d'une restriction brutale de la souveraineté grecque.
Nous retrouvons là la question politique fondamentale qu'est l'organisation de l'Europe. Depuis Charlemagne, les solutions oscillent entre deux pôles : l'empire ou les nations, avec leurs avantages et leurs défauts. L'empire garantit la paix mais supprime la liberté : le maintien de l'unité dans un ensemble aussi hétérogène n'est possible que grâce à un pouvoir autoritaire. Les nations constituent le cadre originel de la démocratie, mais ont une fâcheuse tendance à se faire la guerre. L'Union européenne constitue une tentative historique unique de dépassement de cette tension entre unité et liberté : un empire démocratique résultant du dépassement volontaire et pacifique des nations. La crise actuelle illustre les difficultés d'un tel projet : pour les Grecs, l'UE apparaît comme le fossoyeur de la démocratie ; pour les Allemands, comme l'instrument d'une solidarité imposée et d'un leadership qu'ils ne veulent pas assumer.
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