Avec son sens de l'analyse hors pair et son intelligence et sa culture brillantes, mon ami [l’historien] José Medeiros Ferreira compare la situation actuelle de l'Europe aux dernières années de l'Empire austro-hongrois, lorsque le pouvoir était aux mains d'une bureaucratie déconnectée de la réalité. Je crois qu'il a parfaitement raison: la bureaucratie de l'Union, qui a tant fait pour éloigner les citoyens de l'idée même d'Europe, se contente de soigner ses propres intérêts, sans se soucier de ce qu'est le projet européen.
Quand je vois que les déclarations [du président de la Banque centrale européenne] Jean-Claude Trichet (et je ne peux qu’imaginer que [son successeur désigné] Mario Draghi, aveuglé par sa volonté d'apparaître aux Allemands plus teuton qu'ils ne le sont eux-mêmes, ne s'éloigne guère de ce qui est depuis quelque temps la position officielle et officieuse de la Banque centrale européenne) augurent de mesures clairement insupportables imposées à la Grèce, au moment même où la BCE commence à remonter les taux d'intérêt malgré la croissance anémique de la zone euro et la crise que vivent les pays périphériques, je ne peux que m'interroger: l'indépendance des banques centrales est-elle une aussi bonne idée que nous étions portés à le croire?
Ce que j’ai le plus de mal à comprendre, c'est donc ce qui pousse les principaux dirigeants politiques européens à persister dans un remède dont il a été amplement démontré qu'il ne donnait que des résultats déplorables sur les patients auxquels il est administré, et même, au bout du compte, sur eux-mêmes et sur les intérêts qu'ils sont censés défendre.
Réelle stupidité, ou mise en scène élaborée?
Je reconnais avoir fait beaucoup d'efforts pour tenter de comprendre la logique de ce comportement, et j'admets avoir pensé un temps, dans un élan de générosité, qu'il s'agissait là d'une posture morale, liée au souci légitime de protéger les investisseurs détenteurs de titres souverains émis par ces pays dits périphériques.Puis, ayant constaté qu'il s'agit d'investissements qui, sous prétexte d'un risque élevé, produisent une rémunération très largement supérieure à celle de titres plus sûrs, j'en ai conclu qu'aucun argument moral ne pouvait s'opposer à ce que les créanciers sacrifient une partie de leurs gains dès lors que leurs investissements se trouvent garantis.
Serait-ce donc, puisqu'il n'y a pas d'explication morale qui tienne, que tout cela s'explique par des politiques tout acquis aux intérêts financiers? Là aussi, difficile de trouver une logique dans ce comportement, car en insistant sur des programmes d'austérité drastiques, qui ne font qu'aggraver la situation financière des Etats et entraver leur capacité à respecter leurs engagements, les dirigeants politiques européens s'engagent sur une voie qui nuit radicalement à ces intérêts financiers.
C'est alors que m'est revenu en mémoire le brillant essai de Carlo Cipolla, Allegro ma non troppo: les lois fondamentales de la stupidité humaine (Balland éd. 1992), et sa règle d'or de la bêtise: est stupide celui qui fait du tort à une autre personne ou à un groupe de personnes sans en tirer aucun avantage personnel, voire en se trouvant lui-même lésé par son acte. Une question m'est donc venue à l'esprit: transposant l'analyse de Cipolla de l'individu aux institutions, pourrions-nous dire que l'Union européenne est stupide ?
A moins, évidemment, que tout cela ne se résume à une mise en scène élaborée, et qu'il existe un plan B dont l'objectif serait de chasser du club des riches — autrement dit de la zone euro — ces populations basanées qui s'y sont insidieusement infiltrées. Ainsi que les Irlandais qui, malgré leurs yeux et leur peau clairs, ont trompé l'Europe, lui faisant oublier pour un temps qu'elle avait l'habitude de les traiter comme ses nègres. Ne sont-ils pas, d'ailleurs, ces moutons noirs qui ont voté "non" au référendum qui devait renforcer l'intégration européenne? N'est-ce pas là ce qu'a voulu dire la commissaire Maria Damanaki ?*
* La commissaire à la Pêche et aux Affaires maritimes avait mis en garde le 25 mai contre un risque de sortie de son pays de la zone euro s'il n'arrivait pas à faire les efforts nécessaires pour réduire son énorme dette.
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