Personnel en surnombre, absentéisme record… La chambre des comptes d’Ile-de-France jette un pavé dans la mare au moment où la réforme de ces établissements de soin est en pleine négociation.
Voilà un document qui ne manquera pas de relancer la polémique sur la restructuration de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Sous la pression des personnels et des médecins, qui ont mené une guérilla ces dernières semaines (séquestration de directeurs d’hôpitaux, lobbying auprès des députés…), le directeur de l’AP-HP , Benoît Leclercq, a officiellement suspendu son plan de réorganisation dans l’attente du résultat des discussions avec les syndicats.
Or un rapport explosif de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, programmé depuis 2007, relance la question de la réforme des 37 établissements de l’ AP-HP .
Un inventaire de 55 pages
Non seulement, rappellent les magistrats qui ont eu accès à des données hautement confidentielles, la situation de ces hôpitaux, qui emploient près de 91 000 personnes est bien plus favorable que celle des autres centres hospitaliers universitaires, mais c’est un véritable inventaire des privilèges qui se dessine au fil des 55 pages : jours de RTT, congés maladie records, autonomie totale des praticiens hospitaliers, chefs de service en tête, boudant massivement ces tableaux de service qui permettent de savoir qui travaille. Personne ne semble vraiment piloter ce vaste navire, les effectifs présents l’après-midi sont parfois cinq fois inférieurs à ceux du matin, des équipements essentiels (IRM, scanners) restent trop peu utilisés, et, en moyenne, on procède à 1,7 intervention par jour dans les blocs opératoires, ce qui est très peu.
Signe de la gêne occasionnée par ce document, plusieurs médecins contactés n’ont pas souhaité nous répondre.
De son côté, le directeur de l’AP-HP estime que « ce rapport démontre que nous avons encore de grandes marges d’amélioration en matière d’organisation ».
La situation financière des hôpitaux s’est « significativement améliorée » depuis 2007, ce qui permet d’« espérer un retour à l’équilibre en 2012 », a estimé hier la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, à l’Assemblée nationale.
Des privilèges exorbitants
Voici les points clés du rapport de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France*
1 Médecins : 500 postes de plus qu’ailleurs
Alors que l’AP-HP représente 9,4 % des lits et places des centres hospitaliers (CH) et universitaires (CHU), elle « emploie 13,1 % » des personnels médicaux à plein temps.
« L’effectif en la matière de l’AP-HP est donc supérieur de 44 % à celui des autres hôpitaux pour réaliser la même part d’activité. » Comparé à l’ensemble des CHU, l’AP-HP, à activité comparable, dispose de « 550 emplois à temps plein » en plus (NDLR : sur un peu plus de 7 200 postes).
Par ailleurs, « le coût du personnel médical est très variable d’un établissement à l’autre : « de 34 693 € par lit à Mondor à 55 188 € à l’HEGP (Pompidou) », qui « ont des structures d’activité comparables ».
2 Des agents trop nombreux
Alors que l’AP-HP représente 8,7 % des lits dits de court séjour en France, elle emploie « 11,6 % » des personnels non médicaux à plein temps, soit « près de 20 000 emplois à plein temps de plus » que l’effectif correspondant à « la part d’activité de l’AP-HP ». Si on compare « aux seuls CHU », l’écart est encore de « 9 % pour les soignants et de 10 % pour les personnels administratifs, dont 40 % pour les personnels de direction ».3 La bombe du compte épargne temps
A l’AP-HP, entre 2002 et 2006, les praticiens hospitaliers ont accumulé en moyenne 47,9 jours sur leur compte épargne-temps, avec de grandes disparités d’un établissement à l’autre (27 jours à Bichat, 61 à Pompidou).
Dans deux hôpitaux sur trois, il n’y a même pas « de suivi des jours de RTT pris ». « La gestion du temps médical demeure contraire à la réglementation ». Les médecins sont « libres d’organiser leur temps de travail comme ils l’entendent », notamment entre soins, recherche et enseignement. Or, « aucun des trois établissements contrôlés (Bichat, Henri-Mondor et Pompidou) n’a été en mesure de produire des tableaux généraux d’activité », en dépit de la demande expresse de la direction générale en février 2008.
4 Des hôpitaux désertés l’après-midi
Sans personnel soignant, impossible de garder des lits ouverts. Or, entre le matin et l’après-midi, à Henri-Mondor par exemple, les effectifs de soignants sont parfois divisés par cinq. A Pompidou, les effectifs chutent, passant de plus de 1 052 à 77 personnes. Les magistrats soulignent la faible attractivité des postes de l’après-midi, « moins conciliables avec une vie de famille ».
5 Des plannings en yoyo
D’un jour à l’autre, les plannings varient fortement : à Henri-Mondor, (Créteil, Val-de-Marne) en médecine interne, fin 2008, le nombre de soignants a varié selon les jours de 8 à 4, indépendamment de l’activité. Et en neurochirurgie, le matin, l’effectif varie de « 8 à 14 soignants, en semaine ». A l’hôpital européen Georges-Pompidou, le nombre d’infirmiers varie de « 25 %, sans relation avec l’activité ».
6 Un absentéisme élevé
En plus des 18 jours de RTT décidés au niveau national, les agents de l’AP-HP ont 2 à 6 jours supplémentaires. « Ces jours complémentaires » n’ont « pas réduit l’absentéisme », comparable aux autres CHU. « Un agent non médical est absent 22,25 jours, soit plus d’un mois par an. » * Rapport d’observations définitives de février 2010 sur l’« Organisation des soins à l’AP-HP », exercices 2004 et suivants.
« On se retrouve à un infirmier pour 14 malades »
«J’ai parfois l’impression qu’on veut nous réduire à la fonction de pousse-seringue… » Vincent Lanza, 45 ans, ne cache pas son amertume. Infirmier depuis vingt ans, il manifestait hier, avec Sophie et Séverine, ses deux collègues de l’hôpital Tenon (Paris XX e ), pour défendre les retraites de la profession.
« Aujourd’hui, déplore-t-il, on ne sait pas faire aussi bien qu’il y a vingt ans, alors que les moyens techniques ont progressé. » Même constat de la part de Sophie, 38 ans, dont dix-huit en tant qu’infirmière spécialisée en gériatrie : « Au fil des ans, on nous a fait perdre la logique du travailler ensemble, de la solidarité. »
La faute, selon ces professionnels, aux réorganisations mises en oeuvre à l’hôpital. « Notre pôle (NDLR : entité créée par la loi Bachelot de 2005) englobe la médecine interne, la neurologie, la psychiatrie, la gériatrie et les urgences. Cela fait plus d’une centaine de patients », souligne Sophie. « Je change souvent de service et, à chaque fois, de façon de travailler », soupire Séverine, 25 ans. Conséquence : « Cela a un impact sur la qualité des soins : les pathologies ne sont pas les mêmes, les médecins sont différents, on ne connaît pas les patients. C’est très stressant », souligne Sophie. « On perd le sens de notre métier », se désole Vincent.
Quant à la réforme en cours de l’Assistance publique, elle se traduira par le regroupement de leur hôpital, Tenon, avec trois autres hôpitaux parisiens (Saint-Antoine, Trousseau, Rothschild). « Le risque, c’est que l’on se retrouve à être envoyé dans ces différents établissements », s’inquiète Séverine. Autre point noir : les 35 heures. Les hôpitaux n’ont pas assez embauché pour contrebalancer les effets de la réduction du temps de travail. « On n’arrive pas à prendre nos jours de repos, ni nos vacances, on est en permanence à flux tendu. Certaines journées, on peut se retrouver à être un infirmier à gérer 14 malades, alors que la règle veut qu’il y en ait 1 pour 2 », explique Vincent.
« Et puis, renchérit Séverine, l’administration essaie de faire des économies sur tout. Le matériel médical, comme les masques ou les garrots sont de mauvaise qualité. Mais au final, c’est idiot : on est obligé d’en utiliser deux au lieu d’un seul »… Ces trois blouses blanches restent malgré tout passionnées par leur métier. Mais « la pénurie de main-d’oeuvre est logique. Rien n’est fait pour attirer du monde », explique Vincent qui, au bout de vingt ans de carrière, touche 2 200 € net.
mercredi 31 mars 2010
Le rapport explosif sur les Hôpitaux de Paris
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