Les banquiers n'y vont pas de main morte. Après avoir déclenché la crise, appelé les pouvoirs publics à l'aide, restreint le crédit pour les PME, surpayé leurs traders, voilà qu'ils menacent de ne plus financer l'économie. « On va dans le mur », répètent-ils d'une seule et même voix. A les entendre, les futures normes de solvabilité, dites de Bâle III, qui doivent éviter que les excès de la crise ne se reproduisent, sonnent la fin du financement bancaire. Rien que ça. Une menace redoutable alors que la reprise se fait attendre, tout particulièrement en Europe où, comme les banques aiment à le rappeler, le financement de l'économie dépend à 70 % du crédit bancaire.
Petit retour en arrière. Après la faillite de Lehman fin 2008, le monde a progressivement pris conscience de l'état des bilans des grands établissements et de l'ampleur de l'endettement auquel ils avaient eu recours pour chercher la rentabilité. Autrement dit, du très faible niveau de capital mis en face des actifs ou activités risqués. Capital pourtant nécessaire pour absorber les pertes en cas de défaut. C'est le fameux « levier » : des volumes d'actifs colossaux, financés par très peu de fonds propres, voire pas du tout dans le hors bilan. Résultat : des rentabilités stratosphériques, dépassant 100 % dans certains métiers. Et des recapitalisations massives par les Etats lorsque les défauts sont survenus.
Près de dix-huit mois et plusieurs G20 plus tard, les régulateurs en ont pris l'engagement : les exigences en fonds propres seront relevées des deux côtés de l'Atlantique, notamment dans les activités de marché, et le « levier » sera surveillé avec un indicateur spécifique. Les banques devront aussi rallonger leur refinancement, et ne plus financer des crédits à 15 ans avec de la dette à 3 mois, exercice favori de certains Britanniques avant la crise. Mais voilà que l'industrie de la finance, qu'on attendait plus proactive, crie au scandale. Trop de fonds propres, trop de contraintes sur la liquidité, cela va peser sur la distribution du crédit, nous dit-on. Un raisonnement efficace, mais pas totalement honnête.
En privé, certains banquiers divergent. La réalité, c'est que les banques européennes sont encore trop endettées, beaucoup plus que les banques américaines, même en tenant compte des différences de traitement comptable. Un an et demi après le déclenchement de la crise, leurs bilans valent encore plus de 40 fois leurs fonds propres. Trois fois trop. Si l'on s'en tient au bon vieux ratio de solvabilité qui imposait aux banques de détenir l'équivalent de 8 % de leurs actifs en fonds propres, le multiple ne devrait pas dépasser 12.
Moralité, il faut réduire le levier, facteur redoutable d'amplification et de distribution du risque au reste du marché. Ce qui implique à la fois d'augmenter les fonds propres et de réduire le bilan des banques en cédant des actifs. Un ajustement qui ne doit pas se faire par la restriction du crédit, mais bel et bien là où est logé le risque : dans la banque d'investissement.
De fait, les futures normes de Bâle III agissent en priorité sur les fonds propres alloués aux activités de marché. Dans ces métiers notoirement sous-pondérés en fonds propres, le capital devrait doubler ou tripler. Mais on part de si bas que les banques osent à peine en parler. Elles concentrent l'essentiel de leurs critiques sur l'autre volet des normes, qui vise, lui, à sécuriser le refinancement, en obligeant les banques à anticiper une situation de crise de liquidité d'un mois. Un scénario pas totalement absurde, si on se souvient que la crise de liquidité post-Lehman a nécessité l'intervention des Etats partout dans le monde. Cela n'empêche pas les banques d'affirmer que si on restreint leur capacité à financer le crédit par des ressources empruntées, le financement de l'économie en fera les frais. Pourtant, si l'on s'en tient aux fondamentaux de la banque, les crédits doivent pouvoir être financés par les dépôts des clients, le recours aux marchés devant rester marginal. C'est même la base du métier, la crise l'a rappelé.
Dernière critique émise par les professionnels, la création de « coussins contracycliques », ces réserves de fonds propres que les banques devront constituer en haut de cycle pour faire face aux crises, en réduisant la distribution aux actionnaires. En relevant le niveau général des fonds propres, ces coussins viendraient grever là encore la distribution du crédit. Pourtant, une étude de la Banque d'Angleterre montre que si les banques britanniques avaient réduit de 20 % la distribution du résultat à leurs actionnaires entre 2000 et 2008, elles auraient eu suffisamment de fonds propres pour traverser la crise sans avoir recours aux injections de l'Etat.
La réalité, c'est aussi que, pour les banques, l'enjeu n'est pas celui du financement de l'économie, mais bien celui de la rentabilité. Le premier effet des nouvelles normes, c'est de réduire mécaniquement le rendement des fonds propres des banques, le sacro-saint « RoE ». Mais, c'est là encore une des leçons de la crise, on ne peut pas durablement afficher une rentabilité de 15 % quand la croissance mondiale est de 3 %. La rentabilité des banques doit baisser.
jeudi 25 mars 2010
Bâle III : ce qui fait vraiment peur aux banquiers
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