Est-ce l’angoisse pour le sort de la planète ? Est-ce l’ignorance d’une époque évaporée ? On dirait que les grands moments de notre destin perdent de leur couleur et défilent comme des gares désaffectées devant le TGV de la mémoire nationale. Deux exceptions, pourtant : la chute du mur de Berlin et l’attentat islamiste contre les tours de New York. Ici, stop !
Dans la chute, il y a vingt ans, du mur de Berlin, d’aucuns virent même un terminus, une « fin de l’Histoire ». Et, dans l’agonie du communisme, une humanité ralliée à l’économie de marché et, avec elle, au processus démocratique. On a quitté cette espérance. Si la chute du Mur marque bien, de son fort symbolisme, la fin d’un cycle historique, elle n’annonce nullement l’apaisement de l’humanité. Le 11 Septembre aura sonné, le premier, le glas de cette illusion : après le communisme, l’islamisme militant entretient un refus radical du modèle occidental. Et la contestation fera des émules, au-delà même de l’Islam.
L’Histoire devient légende. La chute du Mur exalte l’explosion de la liberté chez des peuples opprimés que le Mur enfermait. Elle enterre le système communiste, geôlier de ce « paradis ». Avec cette imagerie de foules en liesse, c’est, je crois, la bonne vision. Même si les foules ne furent pas seules à l’ouvrage. Car la rébellion des pays sous tutelle n’était pas la première. Et si, en novembre 1989, leur élan ne put être bridé, c’est que l’Empire rouge était malade. Et, à Moscou, la machine soviétique détraquée par la « guerre des étoiles » de Reagan, par l’asphyxie de l’économie, par la grogne des peuples liges. La volonté de « réforme » naufragera l’arche soviétique. Elle avait, avec Gorbatchev, installé, pour se sauver, un « réformateur ». Mais ce « réformateur », débordé par l’échec, deviendra un syndic de faillite. Et c’est bien, pour finir, le réveil des peuples soumis qui affichera la faillite dans la rue.
Personne ou presque, tant à l’Ouest qu’à l’Est, n’avait prévu son imminence. Quand en 1985, sous Tchernenko, un cacique soviétique me confia en privé le projet réformateur, né des lucidités d’Andropov et du KGB, je restai sceptique. Sous Gorbatchev, en revanche, je crus l’avalanche déclenchée : la « réforme » ferait sauter le verrouillage d’un système totalitaire. Quant à la conviction de Bush père, de Thatcher, et, à les entendre, de Mitterrand, elle était que le régime soviétique, avec ou sans Gorbatchev, rétablirait par la force sa « normalisation ». Tous voyaient encore le communisme comme un « voyage sans retour ».
Mitterrand, concédant qu’un jour peut-être - mais lointain - l’Allemagne tenterait de se réunifier, fut d’abord inquiet du « déboulé » de ces malheureux qui, via la Hongrie, fuyaient le communisme et votaient pour la liberté avec leurs pieds. Inquiet de voir l’Histoire tripoter sans façons l’avenir allemand. D’où ce « ratage » français pour accompagner Kohl dans la célébration, et ce brouillard de cachotteries réciproques qui auront un peu, pour nous, gâté la fête. En fait, Mitterrand - qui me reçut en tête-à-tête à la veille de son voyage fâcheux dans un Berlin-Est déjà décomposé - me parut moins conscient de l’irrésistible poussée des peuples qu’attentif aux risques du grand chambardement européen. Et donc soucieux de ménager un Gorbatchev qu’il croyait, à tort, encore maître de la situation. Un Soviétique présent aux entretiens de Mitterrand à Kiev me dira plus tard : « Il n’avait pas saisi l’ampleur de notre débandade... »
Qu’importe, aujourd’hui, puisque Mitterrand, remisant bon gré mal gré sa crainte d’un colosse allemand dominateur, n’abandonna ses réticences premières contre l’unité allemande que pour négocier utilement avec Kohl l’extinction du mark au profit de l’euro. Ainsi rétablit-il, avec Berlin, un climat franco-allemand troublé à Bonn. L’Europe, pour finir, y gagnera.
Si l’on croit aux leçons de l’Histoire, on retiendra que les lames de fond populaires restent, sinon imprévisibles, du moins imprévues dans l’anarchie de leur déferlement. Dans l’aléatoire de la boule de neige jusqu’à l’avalanche. Les Etats et leurs dirigeants en sont tétanisés. Les « experts » et nos « intellectuels » aussi. Ils caressent le peuple mais craignent ses colères.
On retiendra ensuite que la comparaison des détresses de l’Est avec, de l’autre côté du Mur, les délices d’une consommation festive, exaltée par des télés passe-partout, fut déterminante pour accroître le sentiment d’enfermement des peuples opprimés. On notera que les peuples qui avaient, avant la guerre, goûté à la liberté - Tchécoslovaquie, Pologne... - furent les plus vifs à secouer le carcan que Yalta leur avait imposé. Et l’on méditera la longue accoutumance du peuple est-allemand à sa servitude...
L’Europe d’après la guerre froide est aujourd’hui moins fringante qu’espéré. A l’Est, on y fait encore un peu bande à part. Mais enfin, l’Europe est libre. Pour elle, et pour le monde, le Mur murait la liberté : sa chute embellit la légende d’un siècle féroce.
Claude Imbert
samedi 7 novembre 2009
Ce mur murait la liberté
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