TOUT EST DIT

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samedi 7 novembre 2009

Haro sur des crèmes pas très claires

Lancement à Paris d’une campagne de prévention inédite sur les risques liés au blanchiment de la peau.
Peaux brûlées, dépigmentées…voilà les images qui apparaîtront dès mercredi sur des dizaines de panneaux Decaux dans les 10e, 18e et 19e arrondissements, ainsi que sur 5000 affiches, sur des tracts pédagogiques et dans des bandes dessinées distribués par la mairie de Paris*. Des images chocs pour une campagne de prévention inédite en France, contre le blanchiment de la peau, une pratique à risque courante chez les Parisiens d’origine africaine, antillaise mais aussi asiatique.

Pour s’en convaincre, direction Château-Rouge, dans le 18e. Ici, les baumes Clairissime, White Plus ou Bio Claire s’exhibent sans complexe dans les boutiques. "Les clientes en réclament toute la journée!", constate un commerçant. Ces produits – autorisés — donnent un peu d’éclat, unifient le teint, au mieux enlèvent quelques taches. Mais des crèmes plus décapantes, à la composition douteuse, circulent sous le manteau. Il y a un an, deux magasins du quartier ont été pris en flagrant délit de vente de produits illicites. Les pots contenaient de l’hydroquinone, composant interdit depuis 2001 en cosmétique car cancérigène. Au mois d’avril, l’arrestation d’une vendeuse à la sauvette porte de la Chapelle a permis de démanteler un réseau. Plus de 28000 tubes importés de l’étranger — renfermant des substances toxiques, notamment du mercure — ont été découverts. "Il y a une demande très lucrative, donc du trafic comme pour la drogue", résume le commissaire Verhille, dans le 18e.
Défilé de "peaux cassées"

Aujourd’hui, ce sont surtout les dérivés de la cortisone, connus pour détruire la mélanine, qui inquiètent Antoine Petit, un des rares dermatologues spécialisés et très engagé dans cette campagne. A l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e, il voit défiler les "peaux cassées" par ces produits. Détournés de leur usage médical, les corticoïdes ont non seulement des effets dévastateurs sur la peau mais, une fois dans le sang, ils augmentent aussi les risques d’hypertension, de diabète, d’ulcère ou de troubles psychiatriques. Des dégâts auxquels s’ajoutent ceux de produits artisanaux… parfois même à base d’eau de Javel.

Ces risques, certains clients les ignorent, comme des personnes à la peau blanche peuvent minorer les effets dangereux des UV, tous aveuglés par un même rêve de beauté. "Beaucoup de filles pensent que les garçons n’aiment pas les filles “cramées”, les filles à la peau très noire", explique Isabelle Mananga, de l’association Label Beauté noire, qui milite contre ces préjugés. Le star system est en cause, qui met en avant des icônes au teint plutôt clair, comme les chanteuses de R’n’B Rihanna ou Beyoncé. Mais les discriminations expliquent aussi ce phénomène, analyse l’historien Pap Ndiaye. Dans La Condition noire**, il met au jour une "hiérarchie mélanique": plus une personne est foncée, plus elle serait handicapée dans sa vie sociale, notamment pour trouver du travail. "Ces problèmes existent dans toute la France", souligne Ian Brossat, président du groupe PCF au conseil de Paris. L’élu, à l’origine de cette campagne, la première du genre dans l’Hexagone, espère qu’elle fera tache d’huile dans d’autres grandes villes.

* Mardi 3 novembre, soirée débat public, gratuit, sur le blanchiment de la peau, à 18 heures à l’auditorium de l’Hôtel de Ville, 5, rue de Lobau (4e). Avec (entre autres) Eunice Barber, championne du monde d’athlétisme, Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires. Débat précédé de la projection du film Blanchir, une affaire pas très claire, d'Olivier Enogo.

** La Condition noire. Essai sur une minorité française, Calmann-Lévy, 2008.

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