jeudi 19 juin 2014
Valls et le chaos
Pris entre l’indiscipline de ses élus et le cynisme de Hollande, Valls a trouvé dans la grève des cheminots l’occasion à saisir. Pour se draper en chef.
L’impasse dans laquelle se trouve Manuel Valls se résume en trois scrutins. Le 10 juin, la réforme pénale de Christiane Taubira est approuvée par toute la gauche : 328 voix ; la droite vote contre, 231 voix ; pas une abstention. (En avril 2013, le mariage des homosexuels avait été voté par 327 voix contre 230 et 10 abstentions). Le 8 avril précédent, Manuel Valls obtenait la confiance de sa majorité par 306 voix contre 239, avec 16 abstentions de gauche. Le 29 avril, quand il présente son plan de stabilité (les économies de 50 milliards), il n’a plus que 265 suffrages et récolte 67 abstentions.
Que disent ces trois scrutins ? Que la gauche fait le plein sur ses réformes “de société”, celles qui, par effet contraire, braquent le plus les électeurs et par conséquent les élus de droite et du centre. Or, même si l’on entendra encore parler de PMA, de GPA, d’euthanasie, et probablement du droit de vote des étrangers, ces réformes-là, épuisées, sont hors du champ des priorités gouvernementales. En revanche, la gauche éclate quand il s’agit d’entrer dans le vif des réformes économiques et budgétaires. C’est bien pourtant sur ces sujets-là que Manuel Valls, après deux mois de déclarations, est obligé d’abattre ses cartes, en dévoilant le contenu du “collectif budgétaire” qui doit faire la démonstration qu’il peut redresser les comptes publics et rendre aux entreprises leur compétitivité. Ce qui passe en réalité par une obligation : la liquidation du socialisme.
Cela consiste à défaire systématiquement ce qui a été fait depuis deux ans — mais sans avoir de sujets de société permettant, au moins provisoirement, de rassembler ses troupes. Et quand on a sorti tous les arguments rationnels de ses cartons, que reste-t-il à brandir ? La menace du chaos. C’est ce que le premier ministre est allé faire le 14 juin devant le conseil national du Parti socialiste. Discours à huis clos, prononcé sur le ton de l’oraison funèbre, destiné à frapper les élus et les médias rapidement informés.
La gauche n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République » ; « nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d’un cycle historique du parti » ; « notre pays peut se défaire, se donner à Marine Le Pen »…Ce discours, le sénateur PS de la Nièvre Gaétan Gorce, l’un des fins analystes de la gauche, le traduit de la manière suivante : « Il faut comprendre, écrit-il, que la gauche risquerait de disparaître… au moins au premier tour de la présidentielle. Nul doute en effet que, si au désarroi actuel s’ajoutait le poids de l’échec, c’est toute une culture politique qui serait gravement menacée de péremption. »
La présidentielle, évidemment ! Comment aller à la présidentielle avec un parti divisé, sceptique, frondeur, difficile à convaincre qu’entre Valls et le chaos, il n’y a rien que Marine Le Pen ? Valls n’a pas un obstacle à surmonter devant lui, mais deux. D’un côté, il doit gérer ses élus, dont un sur trois n’adhère pas à sa politique budgétaire et fiscale ; de l’autre, il est tenu de manoeuvrer avec Hollande et de le défendre alors qu’il le sait froid, cynique et indéfendable.
De ce point de vue, il a trouvé dans la grève de la SNCF le moment à saisir : celui qui peut lui permettre de se draper dans l’autorité du chef, défenseur du lycéen qui passe son baccalauréat et de l’usager des services publics en général, contre ces cheminots archaïques et privilégiés, dans un conflit d’autant plus incompréhensible que le pouvoir s’est employé à rendre son projet de loi de réforme de la SNCF, source de la grève, tout aussi obscur.
Pour le premier ministre, c’est une grève calculée. Il ne pouvait ignorer, à moins d’être aveugle et sourd, ni l’état d’esprit de la fédération CGT des cheminots, en concurrence avec Sud-Rail, ni la colère d’un électorat de base qui s’estime trahi par une politique dénoncée comme celle du patronat. Il a sciemment joué l’opinion publique contre les syndicats, fauteurs de grève, lui, le commandeur qui résiste à tout, autant à la critique d’une partie des siens qu’à un mouvement aussi prolongé que celui-là.
« Je suis le seul », doit-on comprendre. Le seul clairvoyant, le seul courageux, le seul à pouvoir sauver les deux années qui viennent avant la campagne présidentielle… Mais, note Gaétan Gorce, « en théorisant sa démarche, en en faisant l’apanage d’une nouvelle gauche, Manuel Valls prend le risque de condamner celle-ci à une défaite irrémédiable, et peut-être même irréversible ».
Risque d’une défaite irréversible parce que la division de son camp n’est pas compensée par un mouvement identique à droite et au centre. Voyez les scrutins cités plus haut : chaque fois, la droite et le centre ont voté contre, comme un seul homme. La gauche paie, non pas la facture, mais la fracture de ses deux premières années de pouvoir.
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