TOUT EST DIT

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vendredi 20 juin 2014

Fabius en «Monsieur Météo» : le ridicule peut-il tuer en politique ?

Après Ségolène Royal en Marianne et Arnaud Montebourg en marinière, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, se met en scène à la une du Parisien magazine en «Monsieur Météo». En tant que spécialiste de la communication politique, que pensez-vous de cette couverture? Quel est le message que cherche à envoyer ce type d'opération de communication?
Le ridicule, bien porté par la gauche caviar
Christian Delporte: Il y a une version rose: le ministre des Affaires étrangères n'hésite pas à donner de sa personne pour alerter sur les dangers du changement climatique, alors que la France organisera la conférence mondiale sur ce thème, en 2015. Laurent Fabiusen sera le pilote. Notons, au passage, la confusion entre météo et climat qui fera bondir les professeurs d'histoire-géographie, au lendemain du bac! Par l'image et le support (Le Parisien-Magazine), Fabius cherche la proximité avec les gens ordinaires, pas toujours sensibles avec cette question planétaire. Mais il y a aussi la version plus sombre: le décalage d'image avec ce que représente un ministre des Affaires étrangères - la grandeur de la France dans le monde, la solennité de la fonction - ouvre la voie à la moquerie. Il est d'autant plus net que le sourire de Fabius sur la photo reste celui des clichés officiels: en la matière, un sourire plus large, une attitude plus détendue auraient souligné la volonté d'autodérision.
A peine la couverture connue, twitter s'en est emparée, la détournant sans ménagement. En communication, on peut chercher à surprendre, recourir à l'humour, verser dans l'autodérision, mais à condition de maîtriser le message et de contrôler son image. Ici, l'écart entre l'image de Fabius et la couverture du journal est tel que l'opération de communication risque de se retourner contre lui. Comme la marinière de Montebourg, le nœud à papillon de Fabius «Monsieur Météo» peut lui coller longtemps à la peau.
Quel peut en être l'effet sur l'image de Laurent Fabius?
Le trouvera-t-on plus sympathique, moins guindé? Pas sûr. Laurent Fabius est une figure importante du gouvernement. L'opinion reconnaît sa compétence et lui qui fut longtemps impopulaire a réussi, grâce au Quai d'Orsay, à la reconquérir. Nous verrons bien si elle lui pardonne ce moment d'égarement. On se rappelle la sévérité des propos de Fabius à l'égard de la peopolisation, au temps - nous étions en 2006 - où il visait le comportement de Ségolène Royal : «Je préfère dire: «Voici mon projet», plutôt que «Mon projet, c'est Voici»». La mise en scène du Parisien-Magazine relève d'une tendance «people» qui lui reviendra peut-être au visage, comme un effet boomerang.
Le risque de ridicule parait important. Comment expliquez-vous que Laurent Fabius, qui a une longue carrière derrière lui, puisse s'y laisser prendre?
On a échappé au pire, puisque le premier projet du Parisien-Magazine était de photographier Laurent Fabius sur un bout de banquise en polystyrène, au côté d'un ours polaire empaillé! La photo a été négociée avec son cabinet pendant plusieurs semaines. Il faut croire que les communicants ont encore beaucoup à apprendre des médias et que leur capacité à anticiper les effets médiatiques sont toujours perfectibles!
Fabius a toujours été soucieux de contrôler son image. Quand il était jeune Premier ministre, il y a 30 ans, il était considéré comme l'un des hommes politiques les plus doués en communication, à la télévision. Pour se rapprocher et se faire comprendre des Français, lui l'agrégé de Lettres et l'énarque avait volontairement appauvri son vocabulaire et adopté le langage ordinaire. A cette époque, il était aussi friand de coups de com' qui faisaient de belles images dans les médias: arrivée de son épouse Françoise en 2 CV Charleston dans la cour de l'Elysée ou fausse photo «volée» d'un Fabius en charentaises sortant de chez lui, place du Panthéon, pour acheter des croissants. Ces images excessives lui avaient été reprochées. Le rejet de l'opinion après l'affaire du sang contaminé l'avait persuadé d'y renoncer.
Fabius est-il grisé par sa popularité? Le naturel revient-il au galop, alors qu'il n'a plus d'ambition présidentielle? S'agit-il d'un plan-com? En tout cas, ce dernier coup suit immédiatement un autre: la réception très médiatisée, il y a quelques jours, des présentateurs météo de toutes les télévisions et radios.
Ce type de communication est-il totalement nouveau ou cela a-t-il toujours existé? Peut-on parler de dérive de la communication politique?
L'humour ou l'autodérision comme modes de communication n'appartiennent guère à la tradition française. Dans le monde anglo-saxon, il en va différemment. En mai dernier, on a vu le prince Charles présenter la météo à la BBC. Deux mois plus tôt, Obama s'était invité au show humoristique de Zach Galifianakis, Between Two Ferns, succédant à de nombreuses vedettes d'Hollywood. On sait que, chaque année, le dîner des correspondants de la Maison-Blanche est l'occasion pour le Président de faire rire son public. Tony Blair, à son époque, s'invitait aussi dans les talk-shows humoristiques. Mais toutes ces prestations sont très scénarisées et les formules répétées. L'image est parfaitement maîtrisée. Dans le cas de Fabius (et avant lui Montebourg ou Royal), le sentiment est qu'ils ne contrôle rien. Si l'on invente de nouveaux modes de communication - et pourquoi pas l'humour et l'autodérision -, encore faut-il mesurer le degré de réceptivité de l'opinion et les effets médiatiques de l'opération.
A travers ce type d'opération, les politiques achèvent-ils de saper leur autorité et leur crédit?
Depuis près de 30 ans, les hommes politiques cherchent à donner un autre visage d'eux-mêmes. Naguère, Chirac, Jospin ou Léotard apparaissaient dans les émissions de Patrick Sébastien, Fabius allait chez Patrick Sabatier, Mermaz participait à Tournez manège. Aujourd'hui, les politiques contribuent au divertissement des talk-shows et Fabius pose en Monsieur Météo. Mais plus ils cherchent à se rapprocher du peuple, plus le peuple s'en éloigne. L'opinion juge d'abord les politiques sur les actes, dans l'exercice de leur fonction. Les Français ne demandent pas du show mais des résultats, a fortiori en période de crise.
«La grandeur a besoin de mystère. On admire mal ce qu'on connaît bien», disait De Gaulle. C'est aussi une posture de communication sur laquelle les hommes politiques d'aujourd'hui devraient méditer.

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