TOUT EST DIT

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samedi 24 mai 2014

Carton rouge européen


Les maladies de l’Europe sont celles des élites dirigeantes des nations qui la composent. Le continent a besoin d’une France forte, pas d’une France hors jeu.
La plus belle illustration du déclassement de la France dans la tête de la gauche française est cette campagne qu’elle conduit pour M. Martin Schulz. Comme si ce M. Schulz était un François Hollande de substitution, plus fort que lui, promis aux plus hautes destinées européennes et à présider la Commission. On imagine François Mitterrand faisant campagne pour M. Schulz…
Qui est donc ce personnage qui incarne tant les espoirs de la gauche proeuropéenne française ? Un député socialiste allemand qui, depuis vingt ans, a fait toute sa carrière sur les bancs et dans les coulisses du Parlement européen, qui n’est parvenu à le présider qu’à la suite d’un accord de présidence tournante avec la droite et qui, faute d’avoir un avenir politique dans son pays, où son parti, battu par celui de la chancelière, a dû rejoindre la grande coalition, se propose de transporter à Bruxelles un projet que les électeurs ont rejeté pour l’Allemagne ! Les socialistes français se préparent donc à voter non seulement pour un Allemand mais pour un Allemand qui a échoué. C’est dire s’ils croient en leur destin !
Le pire est qu’ils ont communiqué cette résignation à notre opinion publique. L’état d’esprit désormais majoritaire, analysé dans ce numéro, est de ne plus croire en rien. Les élections au Parlement de Strasbourg (et de Bruxelles) n’ont jamais mobilisé, mais on se prépare cette fois à un record de démobilisation. Lors du premier scrutin, il y a trente-cinq ans, le taux d’abstention atteignait déjà les 39,3 % chez nous ; il n’a cessé de progresser depuis : des 51,2 % d’il y a vingt-cinq ans jusqu’aux 60 % prévus par les instituts de sondagepour ce 25 mai.
Un peuple résigné est un peuple malade, prêt à toutes les défaites. Il est vrai que l’Europe est atteinte par la maladie, dénoncée quand il en était temps par le démographe Alfred Sauvy, du vieillissement démographique. L’Europe ne fait plus d’enfants, elle ouvre ses portes aux migrants, elle se laisse dominer par la peur, le renoncement, la lassitude. À cela se sont ajoutées d’autres sévères crises de rhumatismes, croissance trop faible et chômage trop élevé, comptes en désordre et surendettement. Avec cette paralysie de l’âme que l’on appelle mauvaise conscience, destructrice des identités, familiales et nationales.
Mais l’Europe n’est qu’une résultante. La cause est à rechercher auprès des élites dirigeantes de chacune des nations qui la composent. Ce ne sont pas les forces ou les faiblesses de l’Union européenne qui ont fait que l’Allemagne soit forte, ce sont les Allemands. Ce ne sont pas les forces ou les faiblesses de l’Europe qui feront ou non que la France sera forte. La France doit être forte si elle veut que l’Europe le soit. Il y a plus de cinquante ans, quand de Gaulle revint au pouvoir pour remettre de l’ordre dans les affaires de la France et cesser d’aller chercher à Washington les crédits pour payer nos fonctionnaires, il s’appuya sur le Marché commun. Il fit de la compétition européenne un tremplin pour nos entreprises et leur croissance, des traités et institutions de l’Europe en construction un outil de puissance. Mais il avait, pour le faire, l’autorité et le leadership nécessaires.
Si le cas Alstom a aujourd’hui pris cette place dans le débat public, c’est bien parce qu’il est à l’image de la France. La question posée est : le principal actionnaire d’Alstom sera-t-il américain ou allemand ? Que l’un soit meilleur que l’autre est un problème industriel ; le sujet qui fâche est celui-ci : ce n’est pas Alstom qui achète mais Alstom qui se vend. Cela mesure assez le déclin de notre industrie.
La monnaie européenne en est-elle l’explication ? Certes, le taux de change de l’euro est pour nos exportateurs un lourd handicap (hors d’Europe, où tout se traite en dollars), mais l’euro en soi n’explique pas tout. Ce qui est en cause, ce sont nos défauts bien français (fiscaux, sociaux, administratifs). Car les Allemands ont quand même réalisé un excédent de 200 milliards en 2013 avec cette monnaie. Quant aux Grecs, pour quelle raison se seraient-ils infligé ces années de récession et d’austérité au lieu de sortir de l’euro, si ce n’est parce qu’ils ont préféré rester dans le jeu plutôt que de tenter l’aventure ? Se mettre hors jeu est aussi un signe d’abandon.
Au soir du scrutin, ce dimanche, on commentera l’écart de voix qui séparera la gauche, l’extrême gauche et la droite, le centre et la droite extrême. La gauche pleurera sur “le triomphe des démagogues” ; la droite répondra “carton rouge” et “dissolution”. On se demandera surtout comment une gauche aussi franchement minoritaire peut encore gouverner. Mais c’est évidemment cette réalité, ajoutée à la quasi-disparition du chef de l’État dans l’opinion, qui explique pourquoi elle ne se raccroche plus qu’à M. Schulz.

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