jeudi 17 mai 2012
Le syndrome grec
La Grèce a inventé la démocratie. Et la déesse Europe que Zeus engrossa. Vestige délabré d'un passé légendaire, la Grèce d'aujourd'hui malmène la démocratie et l'Europe.
Son
trésor mythologique incite encore à la fable. L'actuelle tragédie
grecque enseigne le mal démocratique. Et la vulnérabilité d'un édifice
bancal de 500 millions d'hommes. Athènes devient un théâtre à ciel
ouvert qui met en scène les ressorts d'un plus vaste chambardement. Il
en signe le prologue. Aux hommes (et à Zeus) d'en conjurer le cours !
"La Grèce est le seul exemple connu d'un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance.
Tous les budgets, depuis le premier jusqu'au dernier, sont en déficit."
C'est ce qu'écrit Edmond About en 1854 (1), vingt-quatre ans après
l'indépendance d'un pays arraché à l'Empire ottoman. La France
et l'Afghanistan s'enflammèrent alors pour cette croisade de liberté.
Le prestige légendaire de la Grèce ralliait à la cause le lyrisme
d'héritiers putatifs (Chateaubriand, Byron). Cent cinquante ans plus
tard, une même ferveur politique conforta l'accession de la Grèce à
l'Europe communautaire. Mais, de Platon et Périclès, nulle trace ! Seul
héritier de l'antique Grèce, le tonneau des Danaïdes, antique parabole
du panier percé...
Première leçon de la fable : la Grèce
contemporaine illustre jusqu'à la caricature le mal du déficit
permanent, ou l'art de vivre aux crochets d'autrui. Sous le cache-misère
complaisant et coupable de l'euro, la Grèce aura poussé le vice à son
paroxysme : fraude fiscale gigantesque, comptes publics trafiqués !
Elle
n'est, dit-on, qu'une détestable exception. Et il est vrai, Dieu merci,
qu'aucun pays de l'euroland n'aura sombré dans de telles escroqueries.
Mais plusieurs pays du Sud européen - dont la France - se sont
abandonnés à la pente glissante de l'endettement. Et le funeste exemple
grec a le malheur d'attiser, chez les vertueux du Nord européen, une
méfiance croissante pour les tricheurs du Sud.
Le contribuable
allemand ne cesse d'agiter, dans sa presse et dans ses urnes, le spectre
grec pour refuser de cracher au bassinet européen. L'addiction au
déficit et ses nombreuses rechutes ont avili les promesses venues des
pays où fleurissent à la fois la sieste et l'oranger. Injuste amalgame ?
Peut-être ! Mais quand le vice s'exagère, la vertu aussi !
Deuxième
leçon du contre-modèle grec : sa défaillance démocratique. Contre la
tutelle financière des banques, du FMI, de l'Europe et des Etats
prêteurs, la Grèce regimbe dans la colère. Son peuple berné, humilié,
matraqué ouvre sa porte aux charlatans. La démocratie - victime de sa
maladie de famille, la démagogie - recule devant les embardées
populistes de l'extrême gauche et de l'extrême droite. Seul la retient
au bord du gouffre le souvenir de sa récente dictature militaire.
Convenons,
à nouveau, que ce contre-modèle n'instruit que par ses excès. Mais les
"indignés" d'Athènes ne sont pas seuls dans toute l'Europe du Sud à
verser dans d'aussi funestes ornières. En France, le barnum Mélenchon-Le
Pen écrase déjà de son boucan l'avant-scène des prochaines
législatives. Par bonheur, et là encore, la mémoire des désastres du
fascisme et du communisme retient nos peuples de glisser fût-ce un pied
vers leurs solutions expéditives.
Troisième leçon enfin de la tragédie grecque : la vulnérabilité d'une Europe inaboutie.
Il aura suffi qu'un pays, avec un minuscule 2 % de la richesse
continentale, défaille pour que se déglinguent l'euro et, derrière lui,
l'Europe. Le syndrome grec dénonce l'absurdité d'un "machin" européen
aux économies disparates et sans gouvernance réelle. Il dénonce le
découplage croissant entre une Europe du Nord peu endettée, innovante,
et une Europe du Sud minée par le clientélisme électoral, l'incurie des
élites et le conservatisme d'un modèle social désormais intenable. Le
Sud - France, Espagne, Italie, Grèce - implore une solidarité plus
délectable, il va sans dire, pour celui qui reçoit que pour celui qui
donne. Quant au Nord, entraîné par la locomotive Allemagne, s'il consent
à secourir les réformateurs, il renâcle à financer les paniers percés.
Les
cigales du Sud ont beau jeu de s'envelopper dans le nuage de
l'indispensable croissance. Beau jeu de plaider que la survie de
l'Europe commande aux fourmis du Nord de desserrer leur bourse. Que la
santé politique d'un Sud menacé d'explosions sociales est à ce prix.
Que, d'ailleurs, l'intérêt des producteurs et vendeurs allemands leur
enjoint de financer les acheteurs décavés du Sud... Tout juste si, dans
un mélange d'envie et de ressentiment, le Sud ne reproche pas au Nord de
se bien porter.
Si le compromis l'emporte, comme on le souhaite,
la sagesse et la dureté des temps le feront pencher du côté du Nord. Le
Sud habillera le résultat de belles paroles. La rhétorique est un art
grec.
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