samedi 30 novembre 2013
Dispositif d’autodestruction
Hollande laisse Ayrault s’empêtrer dans sa réforme fiscale, laquelle va se détruire toute seule. Elle peut aussi entraîner le premier ministre…
Les socialistes sont passés maîtres dans l’art de déclencher les dispositifs d’autodestruction. Il y a huit jours, Hollande et Ayrault allaient mieux. Le premier ministre venait de se donner de l’air en lançant un coup politique : la remise à plat de la fiscalité — ce qu’il accompagnait de déclarations énergiques pour couper dans les dépenses publiques. Il pouvait espérer désamorcer la révolte antifiscale, rendait le moral à ses élus pris de panique devant l’ampleur d’un mouvement social hors contrôle et il déconcertait la droite.
Le soir même du lancement de cette contre-offensive, François Hollande s’annonce (à son retour d’Israël) au Stade de France pour assister au match retour France-Ukraine. Quatre jours plus tôt, les Bleus s’étaient débandés devant les Ukrainiens en encaissant deux buts à zéro ; ils risquaient l’élimination de la Coupe du monde. Or le mardi soir 19 novembre, les Bleus se reprennent, jouent en équipe, accomplissent un exploit en renversant le score : trois buts à zéro. Euphorie ! Le camp Hollande-Ayrault y voit un signe annonciateur : la gauche n’est pas perdue, pas plus que ne l’étaient ces Bleus si décriés. Elle aussi est capable de rebondir. En avant les métaphores. Hollande va remonter dans les sondages et Ayrault, en tête, renverser la tendance.
Est-ce l’effet de ce mardi euphorique ? Toujours est-il que, dès le lendemain matin, après ses explications à France Inter sur la méthode qu’il va employer pour mettre en oeuvre sa réforme fiscale, le premier ministre fournit au Monde des précisions qui complètent son plan. L’après-midi, le journal titre : « Jean-Marc Ayrault reprend Bercy en main », avec cette information supplémentaire : « Pour coordonner la réforme fiscale, deux nouveaux directeurs vont être nommés à des postes stratégiques. » C’est à cet instant-là que le premier ministre allume le dispositif d’autodestruction. Parce que aucun des sept ministres de Bercy n’est au courant de son plan, pas plus que les directeurs concernés.
D’un coup d’un seul, il vient de dresser contre lui les deux ministres de tête de Bercy, Pierre Moscovici (Finances) et Bernard Cazeneuve (Budget), cependant que le troisième poids lourd, Arnaud Montebourg, ne se fait plus d’illusions sur Ayrault depuis longtemps. Si ce n’était que cela, ce serait une crise intergouvernementale de plus (on se souvient des épisodes précédents, Valls, Taubira, Duflot, etc.), mais cela devient une crise au sommet même de l’État, parce qu’elle engage les deux hauts fonctionnaires des grades les plus élevés, le directeur du Trésor et celui du Budget, les deux qui tiennent les finances du pays. L’un comme l’autre n’ignoraient pas les rumeurs qui couraient à leur sujet, mais de là à les voir accréditer par le chef du gouvernement, sans en avoir été informés au préalable, ce n’est pas pardonnable. Cela révèle que la machine gouvernementale est dirigée par des amateurs. Des “branquignols”.
Les deux directeurs sont, pour le Trésor, Ramon Fernandez, 46 ans, et pour le Budget, Julien Dubertret, 47 ans. L’un et l’autre, Ena et personnalités brillantes, ont évidemment fait leur carrière sous la droite puisque celle-ci gouvernait depuis dix ans, le premier avec Sarkozy, le second chez Fillon. Est-ce une raison suffisante pour être limogés par le premier ministre ? Moscovici avait vite compris, lui, que, sans Ramon Fernandez, les autorités de Bruxelles n’auraient pas accordé leur bienveillance à la France pour décaler ses objectifs budgétaires et que cela n’aurait pas été sans conséquences sur les marchés financiers. “Mosco” est donc doublement furieux : pour lui-même et pour Fernandez. Il va l’être une troisième fois, parce que celui qui est supposé succéder au directeur du Trésor, François Villeroy de Galhau, 54 ans, ancien directeur du cabinet de DSK aux Finances, actuel directeur général délégué de BNP Paribas, n’en savait rien non plus et qu’il réagit tout aussi énergiquement.
Bref, la “reprise en main” de Bercy est ratée. D’autant plus ratée que François Hollande n’en connaissait pas plus le détail. Cela fait aussitôt renaître des rumeurs de remaniement lancées par certains ministres eux-mêmes — feu sur Ayrault ! Et comme Hollande estime qu’un remaniement serait aujourd’hui un coup pour rien, ce qui montre la confiance (sic) qu’il place dans les éventuels successeurs du premier ministre, il préfère laisser Ayrault s’empêtrer dans une réforme fiscale à laquelle il ne croit pas une seconde. Sans doute parce qu’il compte sur lui pour que cette réforme s’autodétruise à son tour, grâce à toutes ces réunions et concertations avec les syndicats, le patronat, les élus, les conseils et les hautes autorités, qui auront vite fait de démontrer qu’elle n’était pas possible. Dans huit jours, on aura changé de sujet.
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