TOUT EST DIT

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samedi 30 novembre 2013

L'épine qui piquait le pied de l'UMP : comment Nicolas Sarkozy doit-il jouer son retour pour se transformer en recours pour la droite ?


"Cette année 2013 a été celle des cartes postales, 2014 sera celle du recommandé avec accusé de réception", prévient Brice Hortefeux, fidèle de Nicolas Sarkozy. Et d'après un sondage Ifop/Atlantico, 60% des sympathisants UMP choisiraient l'ancien président pour les représenter en 2017.

- D'après un sondage Ifop pour Atlantico, 60% des sympathisants UMP souhaitent voir Nicolas Sarkozy représenter l'UMP lors de la prochaine élection présidentielle (voir ici). L'ancien président de la République est-il une épine dans le pied de l’UMP, mais en même temps la seule chance de la droite de revenir au pouvoir ? Ou bien risque-t-il de la couler ?

Maxime Tandonnet : Il me semble aberrant de considérer Nicolas Sarkozy comme "une épine dans le pied" de la droite. Les Français attendent des solutions à la crise qu’ils subissent de plein fouet, économique, sociale, ou sur le plan de la sécurité. Le drame politique de la droite, ce n’est pas la personne de  l’ancien président. C’est qu’elle est incapable de proposer des solutions voire de montrer qu’elle est au travail pour préparer l’alternance. La crise de l’UMP est identitaire. Le parti, déboussolé, est en perte de repère sur l’Europe, l’économie, l’immigration, la sécurité. Nicolas Sarkozy n’y est évidemment pour rien. Il se trouve dans une situation étrange où on lui reproche à la fois de se taire et de parler quand il s’exprime même discrètement. Je me souviens qu'à l’Élysée il ne cessait de répéter que l’essentiel réside dans la "bataille des idées". L’UMP, déchirée par ses querelles de personnes, semble avoir renoncé à ce message fort de l’ancien chef de l’État.

Thomas Guénolé : En vue de 2017, pour l’UMP et le ‘‘peuple de droite’’, Nicolas Sarkozy est aujourd’hui le choix le plus sûr. Si l’on se base sur les enquêtes d’opinion, c’est de très loin le candidat le plus mobilisateur de l’électorat de droite au premier tour. Or, face à Marine Le Pen qui pointe à 18-20%, pouvoir assurer la qualification au second tour est un atout crucial. Quant au second tour en lui-même, peu importe le candidat de la droite. Si l’adversaire est François Hollande, n’importe quel candidat de droite le battrait en l’état actuel des enquêtes d’opinion. A fortiori si l’adversaire est Marine Le Pen.
Geoffroy Lejeune : Il est à la fois une épine parce qu’il empêche l’émergence d’un vrai chef et la seule chance de la droite de revenir au pouvoir parce qu’à l’heure actuelle, personne à part lui n’est en mesure de relever le défi de la droite en 2017 : éviter un second tour Marine Le Pen - Hollande. Voilà tout le paradoxe Sarkozy. C’est pour cela qu’il risque, dans le même temps, de couler la droite : s’il ne revient pas, elle sera plus faible que jamais pour aborder les prochaines élections présidentielles. 

Quelles sont les conditions nécessaires pour son retour ? Dépendra-t-il davantage du contexte ou de son projet et de sa vision ? Ces différentes conditions doivent-elles forcément être réunies ?


Maxime Tandonnet : Je crois qu’il faut distinguer deux choses. Son retour à la vie publique active et au débat d’idées me paraît inévitable compte tenu de sa personnalité et de sa passion de la chose publique. Cela interviendra quand il sentira le moment favorable. Le rythme d’une présidence de la République active, comme il la concevait, est infernal, de même que les coups et les insultes que l’on reçoit en permanence. Sur le plan humain, une période de ressourcement est inévitable et celle-ci prendra fin tôt ou tard. En revanche, il serait prématuré et hasardeux de spéculer sur un retour à l’Elysée. Lui-même dans ses propos relatifs à l’approche de l’élection de 2012, mettait l’accent sur les aléas extraordinaire de la vie électorale, soulignant fréquemment que jamais un candidat, donné gagnant un an à l’avance, ne l’avait emporté. Alors, à 3 ans et demi… Sa conception de l’histoire donne une grande part à l’imprévisibilité des événements. Tout dépendra des circonstances. S’il devait se porter candidat, ce ne serait sûrement pas, je l’imagine, par goût personnel - il affirmait souvent qu’on ne remonte pas les sources d’un fleuve – mais parce que des circonstances exceptionnellement dramatiques et un appel populaire l’inciteraient à replonger dans la mêlée électorale.

Thomas Guénolé : Votre question nous rajeunit de plus d’un an, car c’est dans une tribune au Monde, en août 2012, que j’avais listé ces conditions. Il y en a huit : une mauvaise conjoncture économique persistante en 2016, aucun nouveau chef pour la droite pendant sa vraie-fausse absence, pas de verrouillage de la désignation du candidat de l’UMP, pas de parasitage par les affaires judiciaires, une présence persistante mais délibérément rare de Nicolas Sarkozy dans le débat public sur des sujets solennels, une entrée en campagne dès un an avant l’élection, réussir à corriger le problème d’image sur le comportement personnel rejeté par une partie de son propre camp, et enfin, bien sûr, le fait que Nicolas Sarkozy veuille se représenter. Peu ou prou, il est indispensable que ces huit conditions soient remplies pour que Nicolas Sarkozy soit réélu président en 2017.
 
Geoffroy Lejeune : "A ce stade, la seule certitude, c’est que rien ne se passera comme on l’a prévu", m’a récemment confié un proche de l’ancien président. Je pense qu’il a raison : les circonstances en politique sont tellement mouvantes qu’il est difficile de faire des pronostics. Toutefois, j’aime beaucoup l’analyse que m’a confié en novembre 2012 l’ancien ministre Brice Hortefeux : il misait sur la déliquescence du pouvoir, sur la cacophonie à droite en l’absence de chef, et sur la montée du Front national, accentuée par le fait que, pour la première fois, les élections européennes arrivent moins de deux mois après les municipales et que le FN capitalisera sur ses résultats aux premières pour faire un exploit au secondes. Un an plus tard, rien ne l’a contredit. 

La percée du FN, si elle se confirme,  peut-elle accélérer son retour ou au contraire l'empêcher ?


Maxime Tandonnet : Franchement, je ne vois pas de raison pour que, comme vous le laissez entendre, le FN soit  au centre de ses pensées et de ses projets. La médiatisation de ce parti est en ce moment impressionnante, mais sa percée dans les sondages – d’ailleurs toute relative –  n’est pas surprenante compte tenu du contexte.  Ce parti  bénéficie des renoncements d’une classe politique en ce moment inaudible sur les grands sujets de fond, l’Europe, l’immigration, la Nation, l’autorité, la sécurité. La tragédie des socialistes au pouvoir et l’incapacité de l’UMP à incarner une solution de rechange crédible, sont tout logiquement à l’origine de la montée du FN dans les sondages. L’enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de terrasser "un diable" quelconque, mais de restaurer la vie publique dans sa dignité, de proposer à la nation des perspectives crédibles, solides et sérieuses. La question européenne est absolument vitale à cet égard et il incombe aux dirigeants de l’opposition démocratique de définir une troisième voie entre une béatitude fédéraliste que les Français ne supportent plus et la tentation suicidaire de l’isolationnisme et du protectionnisme.

Thomas Guénolé :  En 2014, s’agissant du FN, il faut bien distinguer les municipales des européennes :
- Aux municipales, je ne crois pas à un raz-de-marée frontiste. Je pense que le FN provoquera un certain nombre de triangulaires, notamment dans le grand sud de la France, comme lors des législatives de 1997. Je pense qu’il n’y aura que peu de villes, de petite taille, concentrées dans deux à trois départements du sud, dans lesquelles le FN aura une fenêtre de tir pour gagner des mairies, comme lors des municipales de 1995. Je pense qu’en raison d’une poignée de cas où l’UMP locale passera des accords paniqués d’entre-deux tours avec le FN local, les médias mainstream passeront l’entre-deux tours à traiter du sujet des alliances UMP-FN, quand bien même il n’y aurait qu’une dizaine de cas sur 36 000 élections municipales. Et je pense qu’à cause de l’impuissance à boucler ses listes dans toutes les villes de France, le FN fera un score national artificiellement rabaissé qui sera par erreur considéré comme faible, comme pour le MoDem aux municipales de 2008.
Aux européennes, a priori le vote-sanction, le vote-vengeance, jouera à plein dans des élections que bon nombre d’électeurs considèrent sans importance et dont ils comptent donc profiter pour se lâcher en jetant une grenade dégoupillée dans l’urne : voter pour le ‘‘diable’’, voter FN. Si l’on ajoute à ça une probable forte abstention des autres électorats, le FN peut donc dépasser 25% et arriver en tête du scrutin. Cependant, avec une majorité PS-EELV en déroute, en fait, tout est entre les mains des chefs de file de campagne de l’UMP, de l’alliance UDI-MoDem, et du Front de gauche : celui qui aura le cran et le talent de faire frontalement campagne face au FN et de battre Marine Le Pen en duel télévisé pourra créer la surprise, comme Bernard Tapie face à Le Pen père jadis.
Toujours est-il que si le FN, faute de champion anti-FN, finit premier des élections européennes, alors Nicolas Sarkozy a une fenêtre de tir en or massif pour faire une conférence de presse solennelle de ‘‘contre-président’’ de la République, descendant en quelque sorte de l’Aventin pour dire ce qu’il estime devoir être fait par le gouvernement et surtout par l’opposition face à la poussée du FN.    
Geoffroy Lejeune : A mon sens, la percée du FN ne peut qu'accélérer son retour , car elle le rend indispensable. Parce qu’il écoutait son conseiller Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy a été le seul homme politique à faire baisser le Front National. On ne le dira jamais assez, il fait tomber en 2007 le Front national à 10% alors que Le Pen avait fait 16% au premier tour en 2002 et s’était qualifié pour le second tour ! Pour l’instant, personne d’autre que Sarkozy n’a réussi à faire « dégonfler » le FN. 

D'après Le Point, Nicolas Sarkozy pourrait revenir par la gauche. L'ancien président estime qu’il manque une forte teinte sociale aux programmes de François Fillon et Jean-François Copé. Selon lui, la percée de Marine Le Pen s’explique autant par son discours sur l’identité que par ses positions sociales. Cette stratégie vous paraît-elle crédible et pertinente ? Ou susceptible de couler la droite ?


Maxime Tandonnet : Sans doute, mais ce n’est pas contradictoire avec ce que l’on connaît de Sarkozy. Chez lui, le social, ce n’est en aucun cas l’assistanat, mais  la possibilité de vivre de son travail, en sécurité et dans des conditions optimales de dignité sur le plan de l’habitat, du transport, de l’éducation. Peu importe qu’on appelle cela de gauche ou de droite…  Il sait aussi qu’à la suite d’une éventuelle alternance, dans 3 ans et demi, les futurs responsables du pays auront à apporter des solutions à des sujets colossaux, tels la dette publique, le fardeau fiscal, la libération des énergies et des entreprises. Quels que soient les futurs dirigeants, ils seront confrontés à de gigantesques défis et à des épreuves terribles. J’ajoute que si Sarkozy devait un jour revenir aux affaires, il y a trois attitudes de sa part qu’il faut exclure par avance car totalement étrangères à sa mentalité : se défausser de ses responsabilités sur ses prédécesseurs, tenter d’enfouir la poussière sous le tapis en manipulant les réalités, où attendre des jours meilleurs en faisant le gros dos.

Thomas Guénolé :  Je suis totalement d’accord avec cette stratégie de ‘‘virage social’’. Je pense que les tenants de la ligne Buisson, ou ligne de lepénisation, sont des stratèges du dimanche et que la droite leur doit ses défaites électorales successives systématiques depuis 2008. J’en veux pour preuve que plus la ligne Buisson s’est affirmée à l’époque à l’Élysée, plus l’électorat de centre-droit s’est abstenu, cependant que l’électorat d’extrême centre se mettait à voter à gauche.
Au demeurant, cette idée d’un ‘‘virage social’’ correspond à la fois à la ligne Guaino gagnante en 2007, celle d’un rassemblement gaulliste des quatre familles de la droite avec ouverture à gauche, et à ce que Nicolas Sarkozy avait tenté fin 2010 : nommer Jean-Louis Borloo à Matignon. À l’époque, François Fillon avait empêché sa propre éviction du poste de Premier ministre en organisant en sous-main la fronde du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale : sans cela, Jean-Louis Borloo lui succédait fin 2010, et dès cette époque le ‘‘virage social’’ serait intervenu. En temps de crise économique et sociale aiguë, il faut être adepte du déni de réalité ou ancien rédacteur en chef de Minute pour croire qu’une stratégie de copié-collé des messages-clés du FN avait davantage de chances de l’emporter que cette stratégie-là.
Geoffroy Lejeune : Je n’appelle pas l’introduction de mesures sociales dans un programme un "retour par la gauche". En cela, Laurent Wauquiez a raison : la droite a fait une erreur majeure de confier le social à la gauche et de le laisser à Martin Hirsch quand elle gouvernait. Cela dit, l’interprétation médiatique de cette stratégie de Sarkozy me laisse pantois : parce qu’il a fait référence à l’ouverture - pour mieux en condamner les méfaits - dans son discours sur Chaban, la presse croit savoir que Sarkozy veut "tenter un retour par la gauche". Si c’est vrai, c’est une folie : les électeurs de Sarkozy sont à sa droite, et il le sait. Sarkozy a perdu en 2012 parce que 2 millions d’électeurs qui venaient pour la plupart de voter pour Marine Le Pen ont glissé un bulletin blanc dans l’urne le 6 mai 2012. C’est eux qu’il faut convaincre, et il vaudra mieux pour ce faire ne pas leur promettre Bernard Kouchner, Fadela Amara et Martin Hirsch au gouvernement…  

L'ancien chef de l'Etat est connu pour son impulsivité. Dans la perspective de son retour, sa forte personnalité est-elle son meilleur atout ou son pire ennemi ?


Maxime Tandonnet : La difficulté de l’exercice serait alors de rester lui-même tout en changeant. Son impulsivité, comme vous dites, est l’autre face de sa volonté de fer, de son énergie et de sa créativité, qualités qui sont réelles, infiniment supérieures à la moyenne des personnalités politiques, et qu’ont constatées tous ceux qui l’ont côtoyé. Ces qualités, dans une telle hypothèse, seront indispensables pour relever les défis phénoménaux auxquels le pays sera confronté. Mais les temps changent, l’expérience fait son œuvre. Il lui faudrait sans doute, en pareille hypothèse, présider le pays tout autrement, de manière plus consensuelle, fixant les grandes orientations et s’appuyant sur un Premier ministre qui serait le chef de gouvernement et dirigerait effectivement le pays, à la tête d’une équipe solide et volontaire.

Thomas Guénolé : Les deux. Ce que vous appelez sa forte personnalité, ce sont plus prosaïquement le charisme et le sens du commandement. Cela ne va pas sans désinhibition. Je pense cependant qu’il est lui-même parfaitement conscient de ce que son rapport à l’argent, son agressivité débridée et son manque de solennité comportementale lui ont coûté électoralement. De fait, grosso modo à partir de 2010, il avait déjà amorcé et en grande partie réussi sa mue vers un comportement public plus austère, plus en retenue, plus solennellement présidentiel. Je ne pense donc pas qu’il y ait un risque pour ses ambitions de retour à l’Elysée sur ce plan-là. Par contraste, le risque de réécouter les apprentis sorciers de la ligne Buisson est beaucoup plus dangereux.
Pour résumer, le Sarkozy de 2013 devrait s’inspirer du Sarkozy de 2004-2007 : celui qui faisait systématiquement deux pas à droite et un pas à gauche ; le tout en investissant, au moins une fois par semaine, soit un thème qui était jusqu’alors en jachère, soit une proposition qui n’était jusqu’alors défendue par personne.
Geoffroy Lejeune : C’est bien sûr les deux à la fois. Mais on observe une chose intéressante : Sarkozy a été battu en 2012 parce que de nombreux électeurs lui reprochaient ce qu’il était plus que ce qu’il faisait. La débâcle de Hollande, qui, lui, a été élu sur l’antisarkozysme, fait revenir le balancier dans l’autre sens ! Et, selon, un récent sondage publié dans Valeurs actuelles, les Français commencent à regretter les qualités de Sarkozy, énergie, courage, dynamisme, etc. J’ajoute que, depuis le 6 mai 2012, Sarkozy s’est fait silencieux et n’a cédé à aucun moment à la facilité de parler, de se montrer, etc, alors que la plupart de ses amis l’y encouragent. Cela démontre un sang-froid exceptionnel, aux antipodes du caractère qu’on lui connaît.

La droite a-t-elle aujourd'hui une autre option ? Plus tard ?

Maxime Tandonnet : Il ne faut pas forcément raisonner en partant des personnalités, même si le mode d’élection du chef de l’Etat y pousse. Pour l’instant, la droite a le devoir d’incarner collectivement une alternance crédible en offrant une image respectable d’elle-même et en s’engageant dans la bataille des idées. On ne sent pas aujourd’hui dans les sondages se développer une osmose entre la nation et un homme ou une femme qui s’imposerait dans l’opinion, mais cela me paraît tout à fait normal. Dans l’histoire de la vie politique française, sous la Ve République, la "rencontre" entre un peuple et son futur président, parfois des plus inattendues, ne s’exprime que dans les 3 ou 4 mois précédant l’élection présidentielle. Nous en sommes bien loin.
 
Thomas Guénolé : Non. Pour l'UMP, il n'y a pas d'alternative à la candidature de Nicolas Sarkozy. Il faut dire qu’il y a veillé lui-même. À cet égard, sans vouloir faire injure à Jean-François Copé, dans sa victoire à la Pyrrhus pour la présidence de l’UMP, il a surtout été le trustee de Nicolas Sarkozy afin d'empêcher François Fillon de prendre la place.

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