jeudi 18 avril 2013
Le temps des mouches
Le temps des mouches
Naguère, la France était la France. Depuis une dizaine d'années, elle est devenue un pays européen moyen que les glissements de plaques tectoniques ou économiques amènent doucement au sud de notre Vieux Continent, aux côtés de ces boulets de l'Union que sont la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Portugal.
Là est la raison de cette affliction française qui se traduit par toutes sortes de polémiques sonores et de déclarations insanes, sur fond d'hystérie collective. Chaque groupe ou classe sociale fait sa crise de nerfs dans son coin, tandis que notre économie dégringole lentement mais sûrement.
C'est le fond de l'affaire, tout le reste découle de là. Aux réformes les Français ont toujours préféré les révolutions, surtout quand elles leur semblent impossibles. Accroché à sa stratégie d'évitement, le pays a fini par transformer son délitement économique en crise des valeurs ou de civilisation.
Pendant que les Français parlent de ça, au moins ne parlent-ils pas d'autre chose : les farces et attrapes de M. Hollande ont d'autant mieux fonctionné que la droite n'a pas vu le coup venir. L'UMP n'a pas encore exercé son droit d'inventaire sur le bilan de M. Sarkozy, et M. Copé, son "président" autoproclamé, souffrant d'un manque certain de légitimité (1), s'emploie surtout à inventer un Tea Party à la française, excroissance névrotique du Parti républicain américain qui n'aura finalement réussi qu'à le handicaper électoralement.
Ainsi la droite laisse-t-elle M. Hollande choisir le terrain du débat et du combat, comme si l'économie qu'elle n'a pas su remettre sur pied pendant le quinquennat précédent lui avait laissé un goût de cendres. Or c'est le redressement économique et rien d'autre qui réconciliera les Français avec leur classe politique. Si stupéfiante soit-elle, l'affaire Cahuzac que le gouvernement prétend purger est quand même beaucoup moins grave, pour notre pays, que la dégradation continue de nos finances publiques et ses conséquences sur l'économie française.
Tout le monde est d'accord pour condamner le mensonge de Jérôme Cahuzac, c'est mérité et, en plus, ça donne bonne conscience. Mais qu'en est-il des mensonges à répétition des pouvoirs de droite ou de gauche qui, depuis tant d'années, nous ont promis la croissance sans jamais oser prendre les mesures d'assainissement qui, comme en Allemagne ou au Canada, l'auraient relancée ? M. Hollande a-t-il dit la vérité aux Français sur les finances publiques quand il est arrivé au pouvoir ?
C'est le dévissage économique qui exaspère, à juste titre, tant de Français au bord du licenciement ou du dépôt de bilan, tout en excitant les démagogues de tous bords, toujours prêts à brailler, la bave et la haine aux lèvres. Observez-les. Leur manège fait penser à celui des mouches bleues devant une charogne dont elles se repaîtront avant de pondre dedans. Éructant contre l'Europe dont viendrait tout le mal, rêvant de fausse croissance et de fausse monnaie, ils prolifèrent jusque dans les partis traditionnels. Au train où vont les choses, le cercle de la déraison sera bientôt majoritaire.
Si la France était une démocratie digne de ce nom, la gauche et la droite, qui, à des degrés divers, nous ont mis dedans, tenteraient de réfléchir ensemble aux solutions et notamment aux réductions de dépenses publiques à opérer, des dépenses qui continuent à augmenter : selon les dernières estimations, elles s'élèveraient à 56,9 % par rapport au PIB cette année, tandis que le taux des prélèvements obligatoires devrait atteindre un nouveau record en 2014, avec un taux dément de 46,5 %.
L'union nationale n'est cependant pas à l'ordre du jour. Ce serait trop demander. Incapables d'ébaucher une esquisse de dialogue, la gauche et la droite ne s'étripent même pas sur l'essentiel. Ainsi la décision d'obliger, comme dans beaucoup de démocraties européennes, chaque politicien à publier son patrimoine est-elle un dérivatif, mais en aucun cas une urgence. Qu'elle embarrasse ceux qui n'ont pas la conscience tranquille et qui, ces jours-ci, tentent comiquement de dissimuler leurs petites affaires derrière les grands principes, c'est certes distrayant à observer. Mais ça ne créera pas une entreprise ni un emploi.
L'affaire du cumul des mandats est tout aussi superfétatoire. Les revenus des sénateurs ou députés maires étant plafonnés, l'État n'y gagnera rien, au contraire. De plus, cette mesure déplorable contribuera à couper les ailes à des élus locaux qui ont du mal à faire entendre leur voix dans un pays jacobin où, malgré la décentralisation, tout ou presque se décide à Paris. Elle les rapetissera, elle les rabaissera.
Quand on en aura fini avec toutes ces diversions, peut-être sera-t-il temps de montrer le cap aux Français en faisant mentir Turgot (2), qui, à propos de la France, écrivait tristement au roi, avant la Révolution de 1789 : "Personne n'est occupé que de son intérêt particulier. Nulle part il n'y a d'intérêt commun visible."
1. Cf. l'excellent livre de Carole Barjon et Bruno Jeudy, qui se lit comme un roman policier : Le coup monté (Plon).
2. Cf. La Révolution et l'Ancien Régime, d'Alexis de Tocqueville (Robert Laffont, "Bouquins").
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