TOUT EST DIT

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lundi 11 février 2013

Comment et pourquoi on choisit ses amis, les explications scientifiques


Plusieurs études réalisées sur les dauphins, les singes et les humains montrent que les raisons pour lesquelles nous choisissons nos amis sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît...
L'écrivain irlandais C. S. Lewis a dit un jour : "L'amitié naît quant une personne dit à une autre 'Quoi ! Vous aussi ? Je croyais que j'étais le seul'." Il n'était pas le premier à le penser. Bien avant lui, en 360 avant J.-C., Platon a écrit : "La similitude engendre l'amitié". Et selon Aristote, l'amitié germerait notamment de la découverte d'affinités ou de points communs : plus les centres d'intérêts communs sont nombreux, plus l'amitié a des chances de devenir forte.
Deux personnes qui partagent les mêmes idées, les mêmes valeurs et les mêmes goûts auraient donc plus de chances de devenir amis. Cette idée est pourtant trompeuse. Comme le rappelle le site de la BBC, la plupart des amitiés se développent entre des individus qui n'appartiennent pas à une même famille et qui ne sont pas des partenaires sexuels. C'est pourquoi, l'amitié ne pourrait pas s'expliquer sur la base d'intérêts génétiques ou reproductifs. Les biologistes évolutionnistes se basent plutôt sur un processus d'altruisme réciproque pour expliquer une relation d'amitié. Donnant-donnant : je te gratte le dos si tu me grattes le mien, je te garde tes enfants si tu me gardes les miens etc.
Problème : des psychologues sociaux ont découvert que les humains ne tiennent pas de "registre mental" des services ou des faveurs qui leur sont accordés. Pour le primatologue Joan Silk, "la réciprocité et l'équité sont des éléments essentiels pour expliquer l'amitié". Mais selon lui, cette théorie du donnant-donnant s'oppose au maintien d'une amitié profonde et durable. Si ces affirmations semblent contradictoires, l'amitié est de fait un véritable casse-tête pour les scientifiques.
Les chercheurs se sont tournés vers les animaux pour tenter de résoudre cette énigme. Un groupe de scientifiques français a récemment cherché à savoir si les agrégations entre les requins pouvaient s'expliquer en termes sociaux - autrement dit en fonction de leurs liens d'amitié - ou si les squales occupaient un même espace au même moment uniquement en fonction des ressources alimentaires qui s'y trouvent. Ils ont ainsi découvert que certaines espèces de requins privilégiaient la compagnie d'autres squales en particulier. Comme le souligne le site Science Direct, la seule proximité géographique ne suffit pas à expliquer les liens d'amitié que peuvent tisser les requins.
Chez les dauphins, la société se hiérarchise en deux groupes : un premier groupe composé de deux ou trois mâles protège les femelles des autres mâles ; d'autres groupes "travaillent ensemble" pour voler les femelles du premier groupe. En règle générale, les membres d'un même groupe appartiennent à une même famille. Ce type de coopération peut donc s'expliquer par des gènes communs ou des liens de parentèle. Mais une autre étude menée en Australie a mis au jour un troisième type de relation sociale : des coalitions plus imposantes, composées de dauphins n'ayant pas de liens de parenté.
Comme chez les humains, les liens d'amitié ne peuvent pas s'expliquer uniquement par un processus de réciprocité. Au cours d'une étude d’observation, les chercheurs ont ainsi distingué deux groupes de dauphins : le groupe A et le groupe B. Ils ont conclu que ces deux groupes n'avaient aucune chance de coopérer un jour. Quelle ne fut pas leur surprise de voir le groupe B nager au secours du groupe A, attaqué par un troisième groupe (C). Les amitiés entre dauphins sont donc également basées sur des motivations politiques. Même si les groupes A et B sont des ennemis de longue date, leur intérêt commun, à un moment donné, est de combattre le groupe C.
Les aspirations politiques semblent également guider les liens d'amitié chez les macaques d'Assam. Chez ce petit singe qui habite en Thaïlande, la domination est le principal facteur qui permet de séduire une femelle, et donc de se reproduire. Une étude réalisée en 2010montre qu'un individu faisant partie du 3e cercle de la société n'avait quasiment aucune chance de devenir ami avec les autres singes dominants. Au fil du temps, ce macaque a même reculé dans l'échelle sociale, pour être finalement relégué au 8e cercle.
Une autre hypothèse avancée par les scientifiques pourrait expliquer l'amitié : notre réputation. En 2009, deux psychologues - Peter DeScioli et Robert Kurzban - ont demandé à plusieurs individus de faire la liste des 10 personnes (en dehors de leur famille) dont ils sont le plus proches, et de les classer en fonction de leur lien de proximité. Les deux psychologues leur ont ensuite demandé de répartir une centaine de points entre ces 10 personnes.
Quand les participants savaient que leurs choix seraient rendus public, ils ont globalement distribué les points de façon homogène : chaque ami recevait en moyenne 10 points. En revanche, si les participants savaient que leurs choix resteraient confidentiels, les points étaient répartis de façon beaucoup moins uniforme : le 1er recevait par exemple 50 points, le deuxième 20, le troisième 10, et les autres moins de 5. Conclusion de cette étude : en tant que créature sociale, les humains ont conscience que leur manière de se comporter est étroitement observée par les autres. Même si on préfère récompenser 10 fois plus son meilleur ami que les autres, on tente d'apparaître juste vis-à-vis des 9 autres.
Ce qui fait dire aux deux psychologues que l'amitié s'explique sans doute davantage par des raisons politiques que par des facteurs économiques ou géographiques. Pour preuve, ils font valoir que même si les Etats-Unis ont commercé trois fois plus avec la Chine qu'avec l’Angleterre en 2006, le Royaume-Uni sera plus susceptible d'apparaître comme un ami de l'Oncle Sam. Ils suggèrent donc que si l'amitié fonctionne comme les relations internationales, mieux vaut ne pas chercher à l'expliquer par de simples échanges de prestations.
Les relations d'amitié pourraient donc servir de mécanismes stratégiques pour maintenir un système en prévision d'éventuels conflits. Les deux psychologues estiment en effet que les résultat des conflits s'expliquent souvent par le nombre de supporters de chacune des forces en présence - et non par la force ou l'intelligence effectives de chaque camp. Si l'amitié est une énigme, cela s'explique peut-être par le fait que si nous étions plus clairs sur la nature de nos alliances, cela les affaiblirait...

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