lundi 11 février 2013
Ne laissez pas traîner votre ADN partout
Le 6 janvier dernier, l'artiste new-yorkaise Heather Dewey-Hagborg s'est promenée dans les rues de Brooklyn. Sur Myrtle Avenue, elle a ramassé deux mégots. Au carrefour de Wilson Avenue et de Stanhope Street, un chewing-gum vert bien mâché. Et, plus loin, sur Flatbush Avenue, encore un mégot. Heather Dewey-Hagborg ne connaissait évidemment pas les personnes qui avaient abandonné ces déchets, mais cela ne l'a pas empêchée de réaliser un masque réaliste de leur visage, dont on peut voir un spécimen ci-dessus. Grâce à l'ADN contenu dans les mégots et le chewing-gum. La première cigarette avait été fumée par un homme aux yeux marron dont la lignée maternelle était originaire d'Europe de l'Est. Le deuxième mégot avait été jeté par une femme d'origine européenne aux yeux marron. Le chewing-gum sortait de la bouche d'un homme aux yeux marron doté de racines sud-américaines. Enfin, le propriétaire du dernier mégot était un Afro-Américain, lui aussi aux yeux marron.
Pour créer ses masques, Heather Dewey-Hagborg n'a utilisé que trois informations génétiques : l'origine ethnique de la lignée maternelle, le sexe et la couleur des yeux. Elle les a ensuite entrées dans un programme de sa composition qui a interprété les données en fonction d'une base de visages. Puis les masques ont été réalisés à l'aide d'une imprimante 3D. Trois variables, c'est peu et le résultat final n'a que peu de chances d'être ressemblant même si le test qu'elle a fait sur elle-même et deux autres personnes n'est pas sans montrer un air de famille entre les originaux et le masque imprimé. Le but de l'artiste est ailleurs. Avec ce projet intitulé "Stranger Visions", elle souhaite déclencher la réflexion du public sur la tentation du déterminisme génétique et sur "ce que peut impliquer une culture de la surveillance génétique". Sous-entendu par un Etat plus ou moins policier.
D'un autre côté, Heather Dewey-Hagborg ne peut s'empêcher de vouloir améliorer la ressemblance, de sortir du "prototype" pour aller vers l'individu, par exemple en trouvant dans l'ADN des informations sur les taches de rousseur ou la prédisposition à l'obésité. Elle pourrait également intégrer des données sur l'âge probable de la personne, sur la couleur de ses cheveux ou même sur certains de ses traits : en effet, comme je l'ai rapporté il y a quelques mois dans ce blog, une étude internationale a relié cinq gènes avec des caractéristiques "spatiales" du visage comme sa largeur, l'écart entre les yeux ou la proéminence du nez. Au bout du compte, le travail de Heather Dewey-Hagborg pourrait bien préfigurer la manière dont la police de demain établira ses portraits-robots.
Au-delà de cette expérience artistique, demeure l'idée dérangeante que, comme nous laissons traîner notre ADN partout, n'importe qui peut récupérer et exploiter un échantillon de notre matériel génétique. Ramasser un mégot dans la rue pour confectionner un masque à partir de l'ADN qu'il contient ne prête pas vraiment à conséquence. Mais que devient le même mégot abandonné par un meurtrier sur une scène de crime, surtout dans une société abreuvée de séries policières ressassant que l'ADN est la reine des preuves ? Et si jamais ce Fantômas moderne s'est affublé d'un masque à votre visage pour se faire complaisamment filmer par les caméras de vidéo-surveillance, quelles seront vos chances d'échapper à l'erreur judiciaire ? Dans un cadre moins policier, à l'heure où les coûts de la génomique s'abaissent rapidement, se pose aussi la question de l'accès des employeurs et des assureurs aux informations génétiques.
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