Mardi 6 novembre, François Hollande
fête ses 6 mois à l'Elysée. Seulement 24 semaines après son élection, le
président de la République, en forte baisse dans les sondages, est
critiqué y compris dans son propre camp.
Mardi 6 novembre François Hollande fête ses 6
mois à l'Elysée. Suite au décrochage du président de la République dans
les sondages, des ténors socialistes lui demande de "fixer un nouveau
cap". François Hollande peut-il encore sauver son quinquennat ?
David Valence :
La dégradation spectaculaire de la popularité de l'exécutif était
prévisible. Elle tient à une erreur de diagnostic des socialistes quant
aux attentes des Français.
Le 6 mai 2012, une
majorité de nos concitoyens a exprimé un besoin de réassurance et de
justice. Si Nicolas Sarkozy a échoué ce jour-là, c'est parce que sa
personne a été jugée trop peu stable et sa politique trop injuste, à
tort ou à raison. Je ne crois pas pour autant que les Français aient
joué aux autruches et refusé d'envisager la crise. Pas plus, d'ailleurs,
qu'ils n'ont exprimé leur préférence pour un pouvoir "pépère",
"classique". Non ! Ils étaient prêts à certains efforts, pourvu qu'ils
soient justement répartis ; et ils espéraient un pouvoir stable, serein
et fort.
Or la gauche a interprété ce
rejet de Nicolas Sarkozy comme un refus de l' "hyperprésidence", comme
le souhait d'un pouvoir "à la scandinave", sans façons, sans autorité
trop démonstrative, sans coups de menton. Et sur le fond, la
gauche modérée s'est convaincue que les Français refusaient la crise, et
qu'il fallait donc ne pas trop leur parler de la manière dont on
l'affronterait, sinon en "taxant les riches".
Cette
double erreur de diagnostic a pourri les 6 premiers mois du
quinquennat. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a voulu faire de la
rigueur sans le dire, sans oser expliquer aux Français la gravité de la
situation. Et l'exécutif s'est cru bien inspiré en affichant
une décontraction et une souplesse qui ont semé le trouble, en
particulier dans les catégories populaires, directement menacées par le
chômage et qui savent, elles, que le temps n'est pas à la décontraction
ni à la souplesse.
Il n'y a pas mille
façons de sortir de cette impasse. Le gouvernement doit d'abord tenir un
discours de vérité sur la gravité de la crise, tout en donnant des
perspectives à 4 ou 5 ans aux Français. Sur ce mode : "nous travaillons
pour l'avenir de nos enfants". Le président de la République
doit, ensuite, endosser le costume d'un vrai chef de l'exécutif, qui
tranche, décide, sait où il va et assume de déplaire. Vérité et autorité : il n'y a pas d'autre chemin pour sauver le quinquennat.
André Grjebine
: Je crois qu’on peut interpréter la baisse spectaculaire de la
popularité de MM. Hollande et Ayrault de deux manières. La première est
de l’attribuer à la poursuite de la détérioration de la situation
économique, à la progression du chômage, etc., et aux premières mesures –
désagréables ! – décidées par le gouvernement, en particulier
l’augmentation des impôts.
Mais, il aurait
été naïf d’attendre une amélioration en six mois et les hausses
d’impôts étaient prévisibles, compte tenu de notre engagement (depuis
Nicolas Sarkozy) de réduire drastiquement notre déficit budgétaire et
l’endettement public. Je crois donc que l’on doit principalement attribuer le « décrochage » du pouvoir socialiste à un autre facteur : le sentiment que les mesures prises ne s’inscrivent pas dans un projet global clair de sortie progressive, fut-elle douloureuse, de la crise.
Au demeurant, il ne faut pas exagérer le caractère pénible des mesures à prendre, ou plutôt ces
mesures ne devraient être pénibles que pour ceux qui bénéficient
d’avantages discutables qui ne servent en rien aux efforts de
renforcement de notre appareil de production qui doit être entrepris. Cela ne signifie absolument pas qu’une telle politique serait facile à mettre en œuvre. Bien au contraire.
Il serait sans doute plus difficile de lutter contre les gaspillages de
toutes sortes que ce soit au sein de la fonction publique ou dans
l’affectation des ressources publiques en faisant face à d’innombrables
groupes de pression et autre lobbies, que de mener une politique
d’austérité qui enfonce progressivement l’économie française,
mais dont le caractère apparemment inéluctable paraît absoudre d’une
certaine manière ceux qui la prônent et la pratiquent.
Nicolas Prissette : On observe un mouvement paradoxal. En réalité, le cap a été fixé durant la campagne : c'est celui du redressement des comptes de la France, réduire
le déficit à 3% dès 2013. Dans son interview du 9 septembre sur TF1,
François Hollande s'est tenu à cet objectif. Les mesures qui en ont
découlé, notamment la plus forte hausse d'impôts de l'Histoire, étaient
annoncées dès la campagne. Mais en dépit de cette orientation
économique assez claire, la conjoncture reste mauvaise : le chômage
continue d'augmenter. Dans ce contexte, la popularité de l'exécutif
reste faible et se dégrade très rapidement. C'est ce qui
explique que des ténors socialistes demandent un changement de cap au
bout de seulement 6 mois alors même que François Hollande tient les
engagements qu'il avait pris durant la campagne.
Quelles
sont les grandes orientations politiques et économiques que François
Hollande peut adopter dans l'année qui vient pour rebondir ? Le rapport
Gallois peut-il être un "acte fondateur" ?
David Valence :
Les deux principaux défis auxquels doit faire face notre pays sont
connus : la désindustrialisation, d'une part, et le risque d'une rupture
de solidarité entre les générations, d'autre part. François Hollande a
bien identifié ces deux enjeux. Mais il faut maintenant tailler dans le vif et trancher,
quitte à subordonner certains objectifs à d'autres. Le risque serait de
renouer avec l'ère du "tout est prioritaire", et de ne pas savoir
trancher quand des politiques entrent en conflit. Cette
hésitation, cette difficulté à apporter des réponses précises et
déterminées à des enjeux bien identifiés seraient très dangereuses pour
notre pays.
André Grjebine : En fait, on est entré dans une période où une démagogie à rebours s’est développée.
C’est à qui fera miroiter les contraintes les plus fortes, les mesures
les plus pénibles. Comme l’écrit Paul Krugman, prix Nobel d’économie, «
On retrouve constamment l’envie pressante de faire de l’économie une
pièce morale, une fable où la dépression est la conséquence nécessaire
de péchés préalables, en conséquence de quoi il ne faut surtout pas
l’alléger. » Le courage aujourd’hui n’est pas d’enfoncer
l’économie dans la crise comme le font partout au sein de la zone euro
les politiques d’austérité, mais de mettre en œuvre une politique visant
à renforcer notre appareil de production sans pour autant réduire la
demande.
Le temps des politiques
unilatérales, les unes ne s’intéressant qu’à la demande, les autres qu’à
l’offre me paraît aujourd’hui dépassé. C’est pourquoi les
revendications du patronat demandant un transfert des charges supportées
par les entreprises vers les ménages comme tous les plaidoyers (Rapport
Gallois et autres) en faveur d’un « choc de compétitivité » me
paraissent dangereux parce que très partiels. Si la demande faiblit, les
entreprises ne vont guère être tentées d’investir quels que soient
leurs profits. Dans l’hypothèse d’un fléchissement de la demande, elles
vont plutôt être tentées de placer leurs capitaux dans des opérations
financières dont on sait comment elles finissent…
Nicolas Prissette : Aujourd'hui, François Hollande n'a pas les moyen de faire autre chose que d'attendre. Une
fois que la politique de réduction des déficits est mise en œuvre, il
n'a pas les moyen de mener une autre politique. Il est obligé d'attendre
que cette politique porte ses fruits : ramener la confiance des acteurs
économiques et le calme sur les marchés et que la France puisse
continuer d'emprunter à des taux plus avantageux que les autres pays
européens plus durement impactés par la crise.
Une
fois que ce mouvement est engagé, François Hollande est contraint
d'attendre que des jours meilleurs se présentent, le peu de marges de
manœuvre dont il disposait étant consacrées à la réduction du déficit. A
partir du moment où le président de la République a dit qu'il devait
réduire le déficit à 3%, avec des hausses d'impôt historiquement jamais
vues, il a les mains liées. La marche est trop forte. C'est un choix politique très dur qu'il paie aujourd'hui.
Le candidat Hollande avait aussi promis de
"réenchanter le rêve français". Face aux réalités actuelles, peut-il
aujourd'hui encore mener une politique en phase avec cette déclaration,
en particulier face aux pressions de l'Allemagne et du FMI, qui
appellent à un volet de réformes difficiles ?
David Valence : De tous les candidats socialistes à l'élection présidentielle, François Hollande est sans doute celui qui a le moins cultivé l'illusion de l' "autre politique", des lendemains qui chantent – et qui promettent des réveils douloureux. Il savait qu'il lui faudrait endosser la politique de réduction des déficits publics et de la dette initiée par son prédécesseur
: c'est pourquoi il s'est abstenu de promettre des avancées sociales
trop spectaculaires pour être raisonnables, comme l'auraient été une
nouvelle réduction du temps de travail (voulue par Europe Ecologie Les
Verts) ou l'interdiction des licenciements (réclamée par le Front de
gauche et les trotskistes).
Mais dans le même temps,
François Hollande était sensible au discours de ceux qui, comme sa plume
Aquilino Morelle, l'alertaient sur le risque de voir prospérer le vote
Mélenchon : il lui a donc bien fallu donner des gages, pour l'essentiel rhétoriques, aux électeurs les plus à gauche. D'où
des formules comme celle que vous citez, ou celle du discours du
Bourget, le 22 janvier 2012 : "mon véritable adversaire, c'est le monde
de la finance".
Mais ces percées rhétoriques n'avaient pas vraiment de pendants programmatiques, y compris pendant la campagne électorale. Pour l'essentiel, François Hollande est sans doute le moins "à gauche" de tous les candidats socialistes depuis 1965, à l'exception peut-être du François Mitterrand de "La France unie", candidat à sa propre réélection en 1988.
André Grjebine
: A défaut de « réenchanter le rêve français », ce qui n’est pas du
domaine de la politique mais des idéologies qui me paraissent toujours
irrationnelles et dangereuses, il faudrait que le gouvernement
s’interroge sur la meilleure stratégie pour faire aller de pair une
politique de redressement de notre appareil de production et une relance
concertée au sein de la zone euro, sans laquelle le marasme va se prolonger durablement en Europe.
Je crois que cette relance concertée ne sera possible qu’en modifiant les règles du jeu institutionnel au sein de celle-ci.
Le système institutionnel actuel privilégie les relations
inter-étatiques et donne ainsi un pouvoir exorbitant au pays le plus
puissant, l’Allemagne. Il existe pourtant une solution pour modifier
cette situation. Elle consisterait à démocratiser rapidement l’exécutif
européen en donnant une légitimité supérieure aux partisans d’un
soutien européen de la croissance. On me dira que cette proposition
participe aussi du conte de fée…sauf que, de manière paradoxale,
c’est Mme Merkel qui propose cette réforme institutionnelle et le
gouvernement français qui répugne à s’y engager.
Nicolas Prissette : "Réenchanter le rêve français" est une très jolie formule, encore faut-il la définir...
Vous serez bien en peine de trouver quelqu'un qui puisse définir quel
serait "le rêve français" que François Hollande voudrait réenchanter.
Est-ce qu'on parle d'économie et des Trente Glorieuse ? S'agit-il de la
France intégratrice de l'après guerre, de la France des lumières du
XVIIIe siècle ? C'est sans doute la limite du projet de Hollande. Sur
les deux prochaines années, on comprend très bien ce qu'est "le cap du
redressement" : la réduction du déficit public. Mais après ces deux ans difficiles, on ignore quelle va être la direction empruntée...
François Mitterrand avait attendu deux
ans avant d'entamer un virage gestionnaire. François Hollande peut-il
assumer politiquement un tel revirement devant sa majorité et les
Français après seulement six mois d'exercice ?
David Valence : François Hollande n'a pas le choix. S'il
continue à faire de la rigueur sans le dire, et à vouloir gouverner de
manière détendue, l'exécutif risque de découvrir des abysses
d'impopularité que même les tandems Mitterrand-Cresson et Chirac-Juppé
n'ont pas exploré.
D'autant qu'on connaît, depuis
Nicolas Sarkozy, l'impact dévastateur et durable que peuvent avoir les
six premiers mois d'exercice du pouvoir sur l'image d'un président.
Au président précédent, ses premières semaines à l'Elysée ont collé,
sans doute injustement, une étiquette de "président des riches", ami des
seuls puissants, ne comprenant pas qu'il devait s'imposer à lui-même
des limites aussi contraignantes qu'étaient étendus les privilèges liés à
ses fonctions. Cette spirale-là ne s'est véritablement refermée qu'avec
l'affaire de l'Epad et de Jean Sarkozy, en octobre 2009. Mais une
certaine image s'était inscrite sur la cornée d'une majorité de Français
quand ils voyaient Nicolas Sarkozy, image que certains médias n'ont
cessé, par la suite, de flatter, quand bien même il leur aurait fallu
reconnaître qu'il avait pris, en y mettant le temps mais sans doute
mieux que ses prédécesseurs, la pleine mesure de ses fonctions.
Pour
François Hollande, les six premiers mois d'exercice du pouvoir ont été
plus cruels encore, mais les espoirs placés en lui étaient bien moindres
que ceux suscités par Nicolas Sarkozy en 2007. Lui doit se défaire dès
que possible de cette impression d'à peu près, de flou, de manque de
fermeté et de détermination qu'ont reçue les Français. Il doit
s'assumer en "Schröder français" et prendre le risque politique de
conduire des réformes impopulaires, pour préparer la France à renouer
enfin avec une croissance forte. Ce chemin ne lui apportera
peut-être pas la victoire aux élections locales de 2014 et 2015, mais il
peut porter des fruits à plus long terme. En politique, ne pas prendre de risques est la manière la plus certaine d'échouer.
André Grjebine :Paradoxalement, François Hollande a commencé son mandat en gestionnaire plutôt qu’en stratège. Ce
n’est donc pas un « virage gestionnaire » qu’il doit entreprendre, mais
la définition d’une stratégie visant à muscler l’économie française, sans porter atteinte pour autant à la demande sans laquelle rien ne sera possible.
Nicolas Prissette : La comparaison avec François Mitterrand se fait un peu en sens inverse. Le
tournant de la rigueur de 1983 arrive après deux ans de gestion
socialiste où beaucoup d'argent est dépensé, où les comptes de la France
sont mis à contribution pour mettre en œuvre les propositions du
candidat Mitterrand comme les congés payés supplémentaires ou la
retraite à 60 ans. La politique qui est menée dégrade alors les comptes
publics et éloigne la France de l'intégration européenne, d'où la
rigueur.
Cette fois, la situation est inverse. François Hollande commence par la rigueur. Dès la campagne, il avait promis de poursuivre l'engagement de Nicolas Sarkozy de redresser les comptes de la France. A
partir du moment où il n'a pas cherché avec les partenaires européens à
renégocier un autre calendrier de réduction des déficits, il est obligé
de commencer par la rigueur.Tout le problème est que cette politique est appliquée dans un contexte de quasi-récession.
Les
alliés traditionnels du PS sont soit fragilisés (Les Verts) soit en
total désaccord (Front de Gauche). François Hollande doit-il revoir son
jeu d'alliances pour renforcer sa majorité et porter une nouvelle
politique ?
David Valence : C'est à l'Assemblée nationale que se vote la loi en dernière instance. Or, à l'Assemblée nationale, le PS détient la majorité absolue à lui seul.
Il peut donc se permettre d'ignorer le Front de gauche ou de bousculer
des écologistes qui sont un peu ivres de mandats, et si déboussolés
qu'ils cherchent à se distinguer sur des sujets où l'opinion ne les
attend pas maximalistes (le traité sur la stabilité, la coordination et
la gouvernance européennes).
A qui le PS pourrait-il bien s'allier ? Jean-Louis
Borloo et ceux qui le suivent se réclament du centre-droit sans aucune
ambiguïté et font la sourde oreille à ce que Jean-Christophe Cambadélis
semble suggérer comme perspective d'alliance dans son dernier livre. Quant au Modem de François Bayrou, son pouvoir est plus symbolique qu'institutionnel.
Non, je pense que le principal enjeu, pour le pouvoir, c'est aujourd'hui la cohésion du Parti socialiste. Il faut que la rue de Solférino soit soudée et mobilisée derrière le gouvernement.
Le pire serait à craindre en revanche si le Parti socialiste renouait
avec la tendance centrifuge déjà observée lors du second septennat de
François Mitterrand, ou entre 2002 et 2008.
La
priorité "politique" du gouvernement devrait donc être d'assurer
l'autorité du Premier ministre sur et au sein du Parti socialiste, et de
maintenir ce dernier en état de marche et de cohésion. Si d'aventure
les écologistes ou les communistes se plaignaient trop haut, François
Hollande aurait toujours la ressource, pour ne pas donner le sentiment
d'un pouvoir réduit aux seuls acquêts socialistes, de promouvoir
des personnalités de la société civile ou de nommer des élus du Modem
au gouvernement – ils sont plusieurs à n'attendre que cela !
Nicolas Prissette : La
grande chance de François Hollande, contrairement à Lionel Jospin en
1997, c'est qu'il n'a pas besoin de ses alliés puisqu'il il dispose de
la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Il n'a pas besoin d'une
gauche plurielle. La gestion des alliés par François Hollande s'est
toujours déroulée de manière autoritaire, notamment concernant l'accord
Verts-PS négocié par Cécile Duflot et Martine Aubry. François Hollande a
toujours fait comprendre que cet accord ne l’engageait pas
particulièrement. Le Parti communiste et les écologistes peuvent représenter un souci médiatique, mais pas un souci politique.
En revanche, l'aile gauche du PS qui a réussi à se faire entendre très fortement dès le début du quinquennat, notamment sur la question du traité budgétaire européen, sera plus délicate à gérer pour le président de la République.
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