En 2007, le président français Nicolas Sarkozy avait, à Dakar, tenu un discours qui avait choqué le continent. Aujourd'hui, son successeur, François Hollande, se livre à l'exercice périlleux devant le parlement sénégalais. Fera-t-il mieux ? Le chroniqueur et écrivain Fadel Dia est sceptique.
Leur objectif principal n'est pas de prendre le temps de nous connaître, mais de se faire acclamer par des foules dont l'enthousiasme est à la mesure des primes reçues et que leurs médias portent au loin leurs paroles et leurs actes.
C'est du reste mieux ainsi, parce que leur séjour perturbe notre quotidien, nous coûte cher en logistique, que nos services de protocole et de sécurité en sortent épuisés, mais surtout, frustrés d'être dépossédés de leurs responsabilités par l' ”assistance” étrangère. François Hollande est donc chez nous, et, au Sénégal comme en France, on spécule. Va-t-il tenter d'”effacer” le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007, rassurer les Africains et donner à ses hôtes l'image d'une France plus généreuse et mieux instruite de leur histoire ?
Ce n'est pas ce que nous devrions attendre de ce voyage et ce serait d'ailleurs une illusion que de croire qu'un simple discours peut réparer les dégâts d'une adresse qui n'a jamais été reniée par son auteur. Il n'appartient même pas à François Hollande de répondre à Sarkozy : les Français n'étaient pas les destinataires des propos et ce n'est pas leur histoire qui a été mise en cause.
Enfin, c'est aller trop vite en besogne que de croire que l'alternance politique qui a eu lieu en France suffit pour faire changer les choses.
La manière a changé, le contenu bien moins, et le discours et les actes du plus populaire des ministres [allusion à Manuel Valls, ministre de l'Intérieur] de François Hollande ne sont pas très éloignés de ceux tenus ou conduits sous son prédécesseur.
Mais le malentendu est aussi à un autre niveau. Que pourrait nous dire François Hollande pour effacer le discours de Sarkozy ? Rétablir la vérité historique ? C'est commettre une grosse erreur que de croire que c'est par ses connotations historiques que le discours de Sarkozy est blessant.
L'histoire de l'Afrique n'est pas une terra incognita et il suffisait à Sarkozy (ou à sa plume) de se plonger un court instant dans l'ouvrage que d'éminents historiens lui ont consacré sous l'égide de l'Unesco [Collection Histoire générale de l'Afrique lancée depuis 1964], pour éviter de tomber dans les poncifs.
Le discours de Dakar choque parce qu'il est politique, ses inexactitudes historiques sont moins flagrantes que le mépris qui s'en dégage. La réponse qui doit lui être donnée doit venir, non des historiens, mais des politiques, et elle ne peut être qu'africaine.
Nos chefs d'Etat ont manqué à leur devoir en gardant le silence devant cette agression. Que reste-t-il comme recours aujourd'hui ?
Il nous faut d'abord observer que l'exercice auquel se prêtent les présidents français a cette particularité qu'il ne prévoit aucune réponse : l'invité livre son ”message”, se fait applaudir et s'en va !
C'est une prestation sans risque puisque les auditoires qui y sont conviés sont composés de gens sages et mesurés, triés sur le volet. Sarkozy s'était exprimé devant le gratin de l'Université et de la nomenklatura politique et il ne s'était trouvé personne pour quitter la salle, comme les pays occidentaux le font aux Nations-Unies, quand s'expriment les présidents de l'Iran, du Zimbabwe ou de Cuba.
Hollande est encore plus à l'abri des chahuts puisqu'il s'exprimera devant le Parlement, instance peu familière aux rebellions. La réponse n'a donc pas eu lieu quand il le fallait.
Aujourd'hui, ce qui s'impose à nous c'est de faire plus qu'un discours, c'est de changer radicalement de comportement. C'est de rompre avec cette ”inégalité des termes de l'échange” qui nous lient avec l'ancienne métropole, en matière de diplomatie comme tout simplement en dignité.
La Françafrique n'existe pas seulement parce que la France l'a voulue, mais d'abord parce que les Africains s'en accommodaient. ”Dieu ne change pas le sort des hommes tant qu'eux-mêmes n'ont pas changé”, dit un verset du Coran. On pourrait paraphraser cette sentence divine en affirmant que la Françafrique ne disparaitra pas tant que les Africains eux-mêmes, et non la France, ne lui refuseront pas le droit d'existence.
Si le Commonwealth [organisation des pays, anciennes colonies britanniques] ne connait pas de dérives de ce genre, c'est qu'on y respecte ce principe intangible des relations entre nations qu'est la réciprocité.
Qu'ils cessent d'intriguer pour que leur pays soit le premier à accueillir le président de la République française (ou celui des Etats-Unis), comme si c'était la seule consécration qui avait un sens à leurs yeux.
Que nos gouvernants cessent de donner de nous, l'image de peuples plus enclins à la bamboula qu'au travail et refusent de paralyser notre économie et notre administration, sous prétexte que nous recevons, pour quelques heures, la visite d'un hôte venu des pays du Nord, alors que les visites de nos chefs d'Etat dans ces pays passent inaperçues. A moins que cette frénésie populaire ne soit la contrepartie de l'aide qu'ils nos apportent, ce qui serait bien mesquin !
Qu'ils refusent de laisser nos hôtes du Nord se comporter chez nous comme en pays conquis et fassent chez nous ce qu'ils nous refusent chez eux.
Certes, il faut condamner la violation des droits de l'homme, mais à condition de le faire partout où ça se passe, et pas en aparté en Chine et avec éclat en Afrique. La situation des libertés est bien plus aléatoire en Arabie Saoudite qu'en RDC [République démocratique du Congo] et pourtant, on n'a jamais entendu une autorité française exiger des élections libres et transparentes dans la monarchie pétrolière.
Quant à la bonne gouvernance, la situation qui prévaut actuellement en Grèce montre que les Européens devraient aussi balayer devant leurs portes. Mais , pour en revenir au discours de Sarkozy, ce qu'il nous faut refuser désormais c'est cette propension des chefs d'Etat du Nord à se servir de nos capitales comme tribunes pour nous faire la leçon, nous tancer ou nous menacer, nous dire ce que nous devons faire pour leur plaire. A Dakar, Sarkozy était allé encore plus loin. Il avait convoqué les Africains devant leur misère, dont ils étaient les seuls responsables selon lui. Il avait justifié l'injustifiable et, lui qui n'avait encore que quelques mois d'expérience présidentielle, leur avait livré un kit de développement pour sortir de la nuit.
Si François Hollande veut, non pas effacer mais marquer sa différence avec Sarkozy, qu'il s'abstienne donc de s'ériger en donneur de leçons, qu'il parle de la France et de ce qu'elle peut offrir en fraternité, et ne donne pas l'impression qu'il connait nos intérêts mieux que nous-mêmes, qu'il exprime non de la compassion mais du respect.
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