vendredi 4 avril 2014
TINA (there is no alternative)... ou en fait, si ? Examen des marges de manœuvre réelles du gouvernement face aux contraintes budgétaires et réglementaires de l'économie française
A peine Manuel Valls nommé à Matignon, l'Europe a rappelé à l'exécutif français ses engagements et rafraîchi les ardeurs françaises quant à l'obtention d'un nouveau délai sur la réduction du déficit à 3% du PIB. Dans un tel contexte, Paris n'a plus que trois options. Laquelle la nouvelle équipe aux affaires, dont on connaît le penchant pour des relations musclées avec Bruxelles, choisira-t-elle ?
François Beaudonnet : On peut déjà dire que ce processus est totalement inatteignable en l'état, la France ayant plus ou moins deux ans de retard par rapport à un tel objectif aujourd'hui. Si l'on part dans un scénario de politique-fiction en imaginant qu'un plan d'austérité à la grecque se mette en place, l'Hexagone pourrait certes améliorer sa réputation à l'égard de partenaires européens qui perçoivent souvent notre pays comme le mauvais élève du continent. Ces critiques ne sont du reste pas totalement illégitimes puisqu'il est vrai que la France a engagé des réformes relativement timides en comparaison de ses voisins, y compris les pays du Nord. En mettant fin à son image de nation irréformable, Paris pourrait enfin contredire ceux qui la voient comme "l'Homme malade de l'Europe".
Néanmoins, de telles mesures se feraient au prix de sacrifices extrêmement violents sur le plan budgétaire et qui pourraient avoir des conséquences de long-terme sur la santé économique française. C'est d'autant plus difficile à imaginer que ces réformes devraient être adoptées en moins d'un an pour tenir la date limite de 2015 imposée par la Commission.
Bernard Marois : Si la France peut avoir un certain intérêt sur le plan de la crédibilité à respecter ses objectifs, les mesures qui en découleraient seraient bien trop coûteuses électoralement alors que la popularité de l'exécutif n'est pas au beau-fixe. Dans ce contexte, une accélération des mesures d'austérité est donc clairement difficile à imaginer. S'il fallait vraiment tenir cet objectif coûte que coûte, les économies budgétaires de l'Hexagone devraient ainsi se porter à 100 milliards d'euros d'ici 2017 au lieu des 50 déjà annoncées par le président dans le cadre du Pacte de responsabilité. Au-delà des problèmes directement politiques qu'une telle feuille de route pourrait apporter, ce serait prendre un grand risque sur le plan économique : la consommation s'atténuerait en même temps que les recettes fiscales. Baisser les dépenses finirait donc par réduire les recettes et l'on franchirait un seuil qui compliquerait encore plus la situation alors que la croissance est au plus bas (entre 0 et 0.3 %). L'emploi n'arrivant généralement pas à repartir en dessous de 1.5 %, on devine vite que le choix d'économies drastiques finirait par devenir suicidaire pour la France et par extension pour l'Europe.
François Beaudonnet : Contrairement à ce que l'on pourrait penser au premier abord, une telle perspective ne ferait pas que des gagnants, l'inverse étant même plutôt envisageable. Le message envoyé serait finalement assez négatif, pour la France en premier lieu puisqu'elle apparaîtrait comme un cancre à qui on passerait tous les excès alors que plusieurs pays sont passés par d'exigeantes cures d'austérités. Cela créerait de plus un précédent regrettable au niveau européen en sous-entendant que les règles du Traité budgétaire adopté en 2012 ne s'appliquent pas à tous. La Commission européenne avait déjà allongé le délai de la France (deux ans supplémentaires) en mai 2013, à une époque où chacun avait intégré l'idée que les engagements initiaux étaient inatteignables au regard de la faible croissance mondiale. Sachant que des passe-droits ont déjà été accordés, la France n'a plus aucune excuse aujourd'hui alors que les réformes engagées depuis l'année dernière n'ont pas été estimées suffisantes. Ce type d'arrangement n'a donc, d'après moi, d'intérêts pour personne actuellement.
Bernard Marois : De mon point de vue, ce compromis le scénario le plus vraisemblable. L'important n'est pas tant d'atteindre les 3 % le plus vite possible, mais de les atteindre à un rythme qui soit soutenable pour une économie qui reste aujourd'hui fragile, particulièrement vis-à-vis de la déflation dont l'éventualité se précise au fil des mois. Plutôt que de réduire l'objectif en tant que tel pour le faire passer de 3 à 3.5 %, la meilleure solution serait donc de donner un délai supplémentaire de deux ans. Cela aurait l'avantage de coïncider avec la fin du mandat présidentiel, l'imminence des élections pouvant ici inciter l'exécutif à tenir sa promesse.
La marge reste étroite mais raisonnablement envisageable, en particulier si la France, et plus largement la zone euro, arrivent enfin a relancer une croissance endogène plutôt que d'attendre les bénéfices illusoires de la croissance mondiale qui est déjà repartie. L'euro fort, en plombant nos exportations, reste pour l'instant un frein, et il est clair qu'une réflexion doit-être menée pour relancer l'inflation, à condition que se maintienne dans le même temps le rétablissement des comptes publics. C'est là, à mon humble avis, la meilleure option qui s'offre aujourd'hui à la France dans le contexte actuel.
François Beaudonnet : Cette troisième option semble la plus évidente, les avantages d'un tel choix étant clairs et nets pour l'Elysée. Ce serait premièrement un moyen de jouer "la grandeur de la France" tout en affirmant que l'Europe n'a pas à être un carcan dans notre politique économique, mais aussi une opportunité d'éviter des réformes dangereuses sur le plan politique. Dans ce sens, la récente nomination d'Arnaud Montebourg, pourfendeur avoué de Bruxelles, au ministère de l'Economie peut justement être interprétée comme un indice d'une telle stratégie (bien que ce soit dans les faits Michel Sapin qui soit chargé du dialogue avec Bruxelles). En se posant comme le défenseur des prérogatives nationales ainsi que de l'autre Europe, le gouvernement pourrait ainsi camper une posture populaire dans l'optique des prochaines élections présidentielles tout en coupant l'herbe sous le pied des formations eurosceptiques.
Une telle initiative affaiblirait toutefois fortement les institutions européennes, et tout particulièrement une Commission dont l'utilité apparaîtrait de plus en plus relative. Si cette dernière n'a concrètement aucun moyen de bloquer une telle décision de Paris (ce que confirmait encore en off un important ministre des finances européen), toutefois des confrontations plus sérieuses seraient a attendre avec nos partenaires européens, que ce soit des pays du Nord comme les Pays-Bas (ces derniers ayant récemment atteint leur objectif de 3 %) mais aussi les pays du Sud qui comprendraient mal pourquoi de tels privilèges ne leurs ont pas été accordés. Dans une telle optique, la France devra donc s'attendre à livrer la bataille en cavalier seul.
Reste à se poser la question des moyens d'une telle bataille. Si François Hollande décide de jouer la carte Montebourg contre la Commission et la BCE, notamment en reportant sur cette dernière la faute du creusement des déficits, ce qu'avait d'ailleurs déjà tenté Nicolas Sarkozy en son temps, sans succès. Le problème est ici que les Allemands resteront probablement convaincus qu'il est nécessaire de garder une Banque Centrale indépendante, et leur avis reste incontournable en la matière.
Bernard Marois : Un tel choix serait dramatique puisqu'il mettrait l'Hexagone au ban de l'Union européenne alors que les "PIGS" (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) ont eux subi de violentes mesures de corrections budgétaires. Il est aussi évident que Berlin fera tout pour s'opposer à un projet qui menace l'ensemble des équilibres européens. Ce serait aussi et surtout risquer un retour de bâton des taux d'intérêts sur la dette publique française, et il suffirait ici d'une simple augmentation de 100 points de base pour que la situation de nos finances publiques devienne rapidement incontrôlable.
L'effet de spirale sera d'autant plus à redouter qu'il est généralement impossible de prédire jusqu'où ces taux pourront monter, le retour d'un effet de panique et d'une spéculation monstre sur l'euro (comme en 2010-2011) étant alors tout à fait envisageable, avec les conséquences que l'on sait. A la différence de la situation des deux-trois dernières années, le ratio d'endettement français approche actuellement les 100 % du PIB, et nous ne pourrons alors pas compter sur le matelas de la dépense publique pour amortir le choc.
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