Dans sa volonté d’éviter à tout prix un affrontement sur le
traité budgétaire, le chef de l'Etat prend le risque d’une crise de
confiance majeure. Pour faire adopter Maastricht, voilà vingt ans,
Mitterrand, lui, avait osé le référendum !
En politique, la fuite est rarement une solution. Surtout dans le
cadre de cette Ve République hyper présidentialisée par l’institution du
quinquennat, qui laisse peu de chances au chef de l’État d’échapper,
quoi qu’il fasse, à ses responsabilités. En déployant des trésors
d’ingéniosité pour banaliser l’adoption du traité budgétaire européen –
sous la forme d’un projet de loi ordinaire, présenté ce mercredi en
Conseil des ministres et dont les parlementaires discuteront entre un
texte sur la tarification de l’énergie (le 1er octobre) et un autre sur
la régulation économique de l’outre-mer, quelques jours plus tard – ,
François Hollande pourrait bien aboutir à l’inverse de l’effet recherché
: montrer avec éclat ce qu’il veut cacher !
Et cette dissimulation n’est pas mince : son ralliement à
l’orthodoxie budgétaire européenne qu’il reprochait tant à Nicolas
Sarkozy d’épouser pour “rassurer les marchés” ! Le Parti communiste et
le Front de gauche, réunis dimanche dernier à La Courneuve pour la Fête
de l’Humanité, ne s’y sont pas trompés : « Nous disons à François
Hollande : “Ne mettez pas la France dans cette camisole.” Nous disons
aux parlementaires de gauche : “Vous n’êtes pas là pour accepter cela.” », s’enflammait le secrétaire national du PC, Pierre Laurent, tandis que Jean-Luc Mélenchon posait en boucle la même question : « Dix ministres socialistes au Medef ! Combien ici ? »
D’un point de vue de stricte logique, comment leur donner tort ?
N’est-ce pas pour s’assurer de bons reports de voix au second tour de
l’élection présidentielle que François Hollande avait déclaré si fort la
guerre à la finance, son “seul ennemi”, puis promis de “re-négocier” le
Pacte budgétaire signé, en mars 2012, par Angela Merkel et Nicolas
Sarkozy ? Et n’est-ce pas pour éviter un vote punitif de l’extrême
gauche aux législatives qu’il s’était bien gardé d’ouvrir le dossier
avant le 18 juin au matin ?
Cette fois, il ne peut plus reculer : la chancelière le presse de
faire ratifier l’engagement pris par Nicolas Sarkozy, qu’elle tient pour
la parole de la France. Fort de la décision du Conseil constitutionnel
qui, le 9 août dernier, a estimé que les transferts de souveraineté
inhérents au nouveau traité n’étaient pas différents, par essence, des
contraintes déjà imposées par ceux de Maastricht (1993), Amsterdam
(1997) et Lisbonne (2007), pour l’application desquels la Constitution
fut déjà réformée, le chef de l’État a cru judicieux de se faufiler
entre les mailles du calendrier législatif pour faire adopter le texte
avec un minimum de publicité.
La première erreur psychologique de son quinquennat ? Si l’on peut
discuter à l’infini des nuances juridiques existant entre les 3 % de
déficit autorisés par le traité de Maastricht et les 3 % institués par
le Pacte budgétaire, c’est politiquement que la différence saute aux
yeux : dans le premier cas, le contrôle des institutions européennes sur
les budgets nationaux ne s’exerçait qu’a posteriori (avec amendes possibles à la clé) ; dans le second, c’est a priori que
Bruxelles prend les rênes de nos finances, en imposant éventuellement
ses arbitrages aux parlements nationaux élus. Des instances dont la
raison d’être, depuis qu’elles existent en Occident (la boulê
athénienne, le sénat romain et même les cours souveraines sous l’Ancien
Régime), est précisément de consentir l’impôt ! La politique se jouant
sur les symboles, était-il possible d’escamoter celui-ci sans dommage
pour l’exercice de la démocratie ?
Jamais l’opinion française n’a été autant eurosceptique
En 1992, François Mitterrand ne s’était pas posé longtemps la
question, s’agissant de la ratification du traité de Maastricht. Ni
Jacques Chirac, en 2005, pour le projet de Constitution européenne
préparé par Valéry Giscard d’Estaing. Comme François Hollande
aujourd’hui, l’un et l’autre avaient le choix entre la lettre et
l’esprit des institutions : la première n’exigeait qu’un vote conforme
de l’Assemblée nationale et du Sénat suivi de leur réunion en Congrès,
le second un référendum. Tous deux choisirent le référendum, pour
qu’aucun doute ne subsiste sur la légitimité de leur décision : ce fut
“oui” pour Maastricht et, treize ans plus tard, “non” pour la
Constitution Giscard.
De ce point de vue, François Hollande est donc plus proche de Nicolas
Sarkozy (qui fit voter le traité de Lisbonne par le Parlement plutôt
que de prendre le risque d’un nouveau référendum) que de Mitterrand et
de Chirac, dont ce même Hollande se dit pourtant l’héritier à des degrés
divers. Ce qui, certes, est parfaitement son droit, mais risque de lui
attirer, ici et maintenant, un procès en escamotage de promesses dont il
se serait bien passé.
Quoi qu’on pense de la méthode retenue par Nicolas Sarkozy, celui-ci,
de fait, ne s’était nullement engagé à refaire voter le peuple sur la
Constitution européenne. Seulement à lui substituer un “traité
simplifié” qui serait adopté par les deux Chambres dans la foulée de
l’alternance de 2007. Or, non seulement Hollande n’a nullement renégocié
le traité légué par Sarkozy, mais il l’impose à son camp presque
clandestinement !
L’ennui, c’est que cette initiative tombe au plus mauvais moment pour
lui : jamais l’opinion française n’a été plus eurosceptique
qu’aujourd’hui. Et notamment dans les milieux populaires, censés
constituer le ciment électoral de la gauche ! Il n’est, pour s’en
persuader, que de prendre connaissance du grand sondage effectué par
l’Ifop pour le Figaro du 17 septembre, à l’approche du vingtième
anniversaire du traité de Maastricht : 67 % des Français (62 % des
électeurs de Hollande ; 51 % de ceux de Sarkozy) estiment que, depuis
1992, l’Europe a pris une “mauvaise direction”. Pire : si les personnes
interrogées devaient ratifier le même traité, ce n’est pas 51 % qui
voteraient oui, mais seulement 36 %, le non l’emportant par 64 %, dont
55 % d’électeurs de gauche et 54 % de droite ! Surtout, à la question
“compte tenu de la crise actuelle, au fond de vous même, que
souhaitez-vous ? ”, 51 % des électeurs de gauche et 59 % des électeurs
de droite se prononcent pour “moins d’intégration européenne et des
politiques budgétaires propres à chaque État”… Une demande partagée par
69 % des ouvriers et 75 % des employés, catégories pour lesquelles
l’essentiel réside manifestement ailleurs que dans le mariage
homosexuel, l’ouverture de “salles de shoot” pour toxicomanes ou le
droit de vote des étrangers !
lundi 24 septembre 2012
Hollande joue avec le feu
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