Pendant l’été 2012, Thierry Jaune vous livre une chronique des archaïsmes, lenteurs et autres dysfonctionnements de notre magnifique pays, observés dans les secteurs public et privé.
mardi 21 août 2012
Chronique estivale des lenteurs et dysfonctionnements français : de la difficulté de boire une bière en zone touristique
Précision. Les absurdités relevées dans ces
chroniques proviennent de règles inadaptées et de systèmes
administratifs et informatiques souvent conçus sans prendre en compte
les besoins des utilisateurs. Notre reporter tient à préciser que la
très grande majorité de ses interlocuteurs dans les services publics se
montrent courtois et aimables. Et que 100% des télé conseillers d’Orange
ont fait preuve d’une compréhension et d’une patience colossales.
Le
paisible touriste déambulant en famille sur la place d’un village ultra
touristique et même un peu huppé tombe sur un bar-restaurant, à moins
que ce ne soit un restaurant-bar, dont la terrasse lui tend les bras à
l’ombre du célèbre clocher de ce village. Il est 17 h 30 mais seulement
15 h 30 au soleil. Vous avez visité quelques curiosités locales sous le
cagnard. Il est donc temps de s’installer pour une pause. Vous commandez
trois jus d’orange et une bière. C’est les vacances, vous êtes détendu,
tout va bien, aucun nuage à l’horizon.
Et c’est
là que les choses se gâtent, par la conjonction maléfique de la
réglementation française et d’une serveuse... disons zélée.
La serveuse :
- « Je ne peux pas vous servir la bière si vous ne mangez pas »
Votre épouse, qui n’attendait que ça, avec l’air de voler au secours de son mari :
- « Très bien, donnez-nous ce crumble qui a l’air si sympa »
La serveuse, revenant embêtée, après quelques minutes d’attente:
- « C’est que, celui qui consomme l’alcool doit consommer la nourriture »
Vous :
-
« Qui vous a dit que le crumble était pour mon épouse ? Si, dans votre
compta, vous affectez le crumble à ma bière, pensez-vous que je vais le
savoir ou imaginez-vous que ça m’intéresse ? »
La serveuse :
- « On a des contrôles et si ça se trouve vous êtes des contrôleurs »
Nous, à l’unisson :
- « Donnez-nous quatre jus d’orange et tant pis pour le crumble »
Outre
une serveuse à la mentalité de contrôleuse fiscale, l’explication est
d’une absurde simplicité. Cet établissement vend de l’alcool non pas
sous la « licence restaurant » mais sous la « petite licence » celle
qui permet de vendre, uniquement pendant les repas, les boissons du
groupe 2, c’est à dire les boissons fermentées non distillées comme vin,
cidre, bière, crème de cassis, certains vins doux, etc.
Admettons.
Cette licence, couplée cette fois à l’amateurisme aberrant de certains
établissements, donne cet autre résultat ébouriffant. Vous êtes attablé à
une terrasse, au centre de l’une des principales places d’Avignon en
plein festival. Il y a donc un tout petit peu de monde. Il est 18
heures. Autant dire que la chaleur est comme au cœur d’un four. Vous
commandez donc cette bière artisanale et prometteuse, brassée à quelques
encablures. Vous l’imaginez, avec ses multiples reflets dorés,
chapeautée par une aérienne mousse blanche et vous anticipez la saveur
de la première gorgée... Mais, patatras, le serveur :
- Pas possible de vous vendre la bière car le service des repas n’a pas encore commencé.
Encore un coup de la "petite licence".
Bien
entendu, c’est un serveur français et il ne vous propose donc pas
quelques toats nappés de tapenade, une tartine avec la terrine maison,
une assiette de charcuterie ou de légumes, qui auraient, peut-être, été
considérés par l’administration comme un repas, sait-on jamais.
Développer du chiffre d’affaires tout en faisant plaisir au client est
une idée inconnue de beaucoup de commerçants de notre beau pays.
Comme
vous êtes sur cette place sublime, en Avignon s’il vous plait, vous
restez détendu, mais toujours assoiffé. Vous vous repliez donc sur ces
jus de fruits frais pressés, qui occupent la moitié de la carte. Mais
là, à nouveau le serveur, sans que cela ne semble lui poser le moindre
problème :
- Pas possible de vous servir !
- Ben pourquoi ?
- On a tout vendu ce matin, y en a plus !
Résumons.
A 18 heures, ce café se sait donc pas s’approvisionner pour vendre
suffisamment à ses clients de l’après-midi et du soir, pendant les trois
semaines de l’année où il doit réaliser 80% de son chiffre d’affaires
annuel !
Quant à votre camarade de
rafraichissement, sans regarder la carte (c’est un type qui aime vivre
dangereusement), il commande un Orangina !
– Ah, ce n’est pas possible...
– Ben pourquoi ?
– On n’en a pas.
C’est vrai quoi, fallait pas commander un truc aussi rare.
Dans
le registre, poil dans la main + mauvais ratio charges / recette /
droit du travail, nous avons, toujours dans cette bonne ville d’Avignon
en plein festival, trois restaurants d’affilée qui refusent de nous
servir trois repas à 14 h 15. « Cuisine fermée » ! C’est vrai qu’il est
très tard dans l’après-midi.
Terminons par cette
scène pittoresque. Jour de marché dans un village touristique de la côte
atlantique, donc bondé. Vous arrivez à l’aube, à 9 h 45, à la terrasse
de ce café, avec votre épouse. Le loufiat est en train de déployer,
lentement, les parasols. Comme il n’ouvre qu’à 10 heures du matin pour
servir les petits-déjeuners (si, si, véridique !), il vous propose, avec
un grand sourire, de vous asseoir à cette table, bien située à l’ombre
d’un pin, et de vous apporter tout de suite un noisette et un grand
crème, avec des tartines de pain frais, de la confiture maison et deux
jus d’oranges pressées... Non, je blague. C’est un cafetier français. Ce
qui donne, sur un ton mal embouché :
- « C’est pas encore ouvert, repassez dans un quart d’heure ! »
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