mardi 21 août 2012
Bouclier fiscal : le joli caillou dans la chaussure du gouvernement que vient de déposer le conseil constitutionnel
Tout en validant la nouvelle fiscalité
mise en place par François Hollande, le Conseil constitutionnel lui a
adressé un avertissement : toute nouvelle ponction fiscale devra
s'accompagner d'un système de plafonnement, sous peine de devenir
"confiscatoire". Une porte ouverte au retour du bouclier fiscal tant
décrié par la gauche.
Le bouclier fiscal n’en finit pas de
faire parler de lui. On croyait la mesure morte et enterrée, après sa
suppression en juillet 2011 dans le cadre d’une réforme plus large de la
fiscalité du patrimoine.
Voici qu’une
importante décision du Conseil constitutionnel, rendue ce jeudi 9 août
sur la loi de finances rectificative, la met de nouveau dans
l’actualité ! Les sages du Palais Royal ont en effet conditionné
une augmentation durable de l’ISF à l’adoption d’un dispositif de
plafonnement qui empêche le montant de cet impôt de dépasser un certain
niveau de revenu. Et ils n’ont validé la hausse intervenue cette année qu’en raison de son caractère exceptionnel.
Cette
décision pose, pour le nouveau pouvoir socialiste, un problème
politique. Certes, François Hollande avait habilement pris les devants
pendant la campagne électorale et avait publiquement évoqué, le 14 mars
dernier, la possibilité de rétablir un mécanisme de sauvegarde. La
formule retenue avait même été précisée : ce serait la même que celle
adopté en 1991 par Pierre Bérégovoy, qui limitait la somme due par le
contribuable au titre de l’ISF et de l’impôt progressif à 85% de son
revenu. Il ne fait plus guère de doute désormais que ce nombre d’or sera
inscrit dans la prochaine loi de finances.
Pour autant, l’obligation d’instaurer un plafonnement n’est pas une bonne nouvelle pour l’actuel exécutif. La
mesure, qui n’est pas sans rappeler le défunt bouclier fiscal,
relativise les critiques très vives adressées à l’ancien gouvernement et
fragilise cet antisarkosysme virulent qui avait été un des ressorts de
la victoire de François Hollande.
Sur
un autre plan, en ressuscitant un dispositif vieux de vingt-ans, le
nouveau pouvoir alimente le procès en immobilisme qui lui est fait,
alors que la perspective d’une réforme d’ampleur du système d’imposition
apparaît de plus en plus lointaine.
La
décision du Conseil constitutionnel ne vaut pas seulement par ses
aspects conjoncturels. Elle a un autre mérite, qui est de réhabiliter le
bouclier fiscal. Certes, les sages ne se prononcent pas explicitement
en faveur de l’ancien dispositif. Mais en rappelant la nécessité d’un
plafonnement, fût-ce sous une forme atténuée, ils permettent d’en
redécouvrir les évidentes qualités. Celles-ci sont de deux ordres.
Le
bouclier fiscal offre d’abord un avantage de principe. Dans le système
libéral qui est le nôtre, une limite doit pouvoir être mise au
prélèvement : il s’agit d’une garantie importante accordée à l’individu
contre une immixtion abusive de l’Etat et donc un élément constitutif du
pacte social. Le Conseil constitutionnel n’en a pas décidé autrement,
en interdisant expressément, depuis une décision du 29 décembre 2005 un
impôt qui serait, selon ses propres termes, « confiscatoire » ou qui
ferait peser sur une catégorie de contribuables « une charge excessive
au regard de leurs facultés contributives ». De même, il considère, et
c’est sur cela qu’il fonde sa décision du 9 août, que la ponction d’une
part trop élevée du revenu constitue une « rupture de l’égalité devant
les charges publiques ».
Ces trois notions complémentaires restent
cependant assez floues et offrent une multitude d’interprétations. Un
impôt qui obligerait le contribuable à réaliser son patrimoine serait-il
forcément confiscatoire ? L’obligation d’instaurer un mécanisme de
sauvegarde concerne-t-elle seulement l’impôt patrimonial ou doit-elle,
pour empêcher cette « rupture de l’égalité devant les charges
publiques », être étendue à tous les impôts directs ? Comment évaluer
réellement une « charge excessive » ?
Le
Conseil pourrait être appelé à répondre assez vite à toutes ces
questions, et peut-être à d’autres encore, maintenant que la possibilité
d’agir par voie d’exception est ouverte aux justiciables. En revanche,
il ne lui appartient pas de livrer un modèle clé en main ou de fixer une
limite chiffrée. 50%, 60% ou 70% ? Ce n’est pas à lui de le dire et
cette abstention volontaire est, pour le législateur, un clair
encouragement à se saisir du dossier.
Une
deuxième raison plaide en faveur du bouclier fiscal : celui-ci est un
merveilleux indicateur de tout ce qui fonctionne mal dans le système
d’imposition. Il repère les défauts les plus criants et permet de les
corriger. Tous ses bénéficiaires n’étaient pas, loin s’en faut, des
privilégiés. La plupart d’entre eux étaient des foyers modestes
possédant un patrimoine non négligeable, en général composé de biens
fonciers, et pour lesquels l’impôt sur la fortune et l’impôt local, qui
sont effectivement les deux points noirs de notre fiscalité, auraient
représenté une part excessive du revenu.
Le bouclier fiscal ne constituait d’ailleurs pas une nouveauté, issue de la volonté idéologique du précédent gouvernement : il
s’inscrivait au contraire dans une longue série de mécanismes de
sauvegarde, qui ont été progressivement adoptés, souvent par des
gouvernement de gauche, pour atténuer les imperfections des
impôts les plus bancals sur le plan technique (c’est le cas, on l’a vu,
pour l’ISF, mais aussi pour la taxe d’habitation limitée depuis 2000 à
3,44% du revenu ou de la taxe professionnelle plafonnée par rapport à la
valeur ajoutée dégagée par l’entreprise).
Or,
ces mécanismes partiels ne couvraient pas l’ensemble des situations et
laissaient certains contribuables face à un prélèvement trop lourd. De
même, ils contribuaient à l’extrême complexité du système fiscal.
L’adoption d’un mécanisme global parachevait donc une tendance lourde,
corrigeait des insuffisances et donnait à l’ensemble une lisibilité qui
lui faisait auparavant défaut.
Le
rétablissement du bouclier fiscal est donc aujourd’hui souhaitable.
Est-il possible ? L’ancienne version s’était heurtée à deux obstacles
qui ne sont, ni l’un ni l’autre, insurmontables. Le premier est dû à
crise, au déficit et à l’augmentation des impôts qu’ils ont provoqués.
Il apparaissait impensable de ne pas faire participer les contribuables
les mieux dotés à l’effort commun. Inversement, en régime de croisière,
le bouclier formerait un verrou salutaire, empêchant toute nouvelle
hausse de la pression fiscale et initiant même un mouvement de baisse
légère, sans doute indispensable compte tenu du niveau très élevé
atteint en France par le taux de prélèvements obligatoires.
Le second obstacle est plus sérieux. Le
bouclier fiscal était apparu comme injuste à une large partie de
l’opinion publique : « un cadeau fait aux riches », pour reprendre une
expression caricaturale mais souvent utilisée. Cette critique était
d’ailleurs excessive : la véritable injustice fiscale n’est pas de
limiter le prélèvement induit par les impôts directs à 50%, ce qui
représente un taux déjà très élevé.
Elle
provient des niches fiscales et des innombrables possibilités de fuite
légale qui permettent à des contribuables souvent très fortunés de faire
baisser leur imposition bien en deçà de ces fameux 50%. Pour autant, un
nouveau mécanisme de sauvegarde, s’il devait être adopté, doit tenir
compte de cette impopularité.
Une solution
élégante existe : elle consisterait à moduler le degré de protection
selon le revenu. Pour les foyers modestes, le total des impôts directs
serait ainsi plafonné à un niveau plus bas que pour les foyers aisés. Le
nouveau mécanisme s’échelonnerait ainsi, par exemple, entre 40% et 60%
du revenu selon les cas. Il pourrait ainsi bénéficier à une grande
majorité de contribuables et, ce ne serait pas le moindre de ses
mérites, il renouerait avec l’esprit de l’impôt progressif.
Associé
à un impôt minimal limitant les effets des niches, ce bouclier fiscal
new style pourrait même être considéré comme un des instruments majeurs
de la justice fiscale.
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