jeudi 7 juin 2012
Une morale du mépris
Selon le journal les Inrockuptibles, mes livres « suintent le français de souche ». Citation dans le texte. L’usage du verbe “suinter” trahit un dégoût assaisonné de mépris très voisin du racisme.
On imagine le concert d’indignations, voire le lâcher de procédures
judiciaires, s’il avait été question de n’importe quelle “souche” autre
que française. Mais seule “suinte” la française à l’aune de ce journal
branché sur le moralisme gaucho, version “culture”. Les guillemets
s’imposent. On perçoit clairement les présupposés de cet essentialisme
imbécile, qui survalorise n’importe quelle minorité pour néantiser un
autochtone présumé beauf avec béret et baguette, xénophobe,
poujadisant, mesquin, rétracté comme un poulpe sur on ne sait quel pré
carré ethnique ou géographique.
Mes livres donc “suintent le français de souche”. De fait,
autant que j’en sache, mon capital génétique ne s’est guère évadé du
Massif central. Je n’en tire aucune gloire, mais je ne daigne pas non
plus m’en excuser. En vérité je n’y suis pour rien et si ma poétique
doit beaucoup à mes terroirs originels, je ne les ai jamais divinisés à
la mode barrésienne. Peu me chaut le mépris des Inrockuptibles,
je le partage avec les Picards, les Normands, les Savoyards, les
Berrichons, les Artésiens, les Gascons, les Lorrains, les Provençaux,
les Franc-comtois, les Tourangeaux, les Alsaciens, les Saintongeais, les
Cévenols, et cætera – tous ceux qui, approximativement, sont
“français de souche”, se perçoivent comme tels et n’en sont pas moins
accessibles aux bonheurs de l’altérité. Ce mépris de caste se drape
d’alibis universalistes, mais son fond de sauce, n’est que la honte de
soi, la haine de tout enracinement, le reniement de toute mémoire.
Comme si la quête de l’universel avait à voir avec les syncrétismes
au ras des pâquerettes des sectateurs du multiculturel. Comme si
nationalisme et cosmopolitisme n’étaient pas les deux faces de la même
médaille. Comme s’il fallait ériger le nomadisme mental en modèle pour
enfanter une humanité de bon aloi. Quand snobisme et nihilisme font la
paire, une seule solution : réexpédier le mépris à son envoyeur. Dont
acte.
Eric Zemmour ne “suinte” pas le “français de souche” puisqu’il
revendique une judéité de provenance nord-africaine. Le revoilà
cependant harcelé par la même bigoterie qui “stigmatise” mes origines,
pour user du patois de la sociologie officielle. Zemmour est gaulliste
comme moi, avec une tripe nettement plus “républicaine” que la mienne,
mais il encourt le même reproche d’aimer la France dans tous les atours
de son histoire-géo. Autant dire de revendiquer une identité, complexe
en l’occurrence, et d’y gager quelque affectivité. Devrai-je à nouveau
témoigner devant un tribunal qui, à nouveau, au pays de Voltaire et de
Guignol, se prêterait à la mauvaise farce d’un procès d’opinion ? La
liberté d’expression ne coule plus de source ces temps-ci, dans ce
climat de sourde délation où tout esprit tant soit peu iconoclaste est
offert à la vindicte de l’opinion. Laquelle, grâce au Ciel, n’accorde
plus le moindre crédit aux tristes émules de Torquemada. Plus Zemmour
sera vilipendé par le parisianisme de la rive gauche et ses
sous-traitants de la politique, de la magistrature et des médias, plus
l’opinion sera encline à le jucher sur un piédestal.
Toute proportion gardée, on sent poindre une manière de
dreyfusardisme que fédère une sympathie de principe pour la victime d’un
lynchage au long cours. D’aucuns voient en Zemmour un héros ou
presque. Il n’a rien voulu de tel. Il commente l’actualité à sa façon,
avec des approches par définition contestables, quelquefois
outrancières. Mais il vise souvent juste et on le lui pardonne d’autant
moins que sa plume, quand il la dégaine, n’est pas trempée dans de la
tisane. Celles de ses détracteurs souffrent de la comparaison et leur
jalousie scelle avec leur idéologie une alliance qui “suinte” la
rancoeur. Alors, ils ressortent l’attirail éculé de la démonologie
stalinienne pour le grimer en un moderne Goebbels, ou peu s’en faut. La
hargne qu’ils y mettent trahit leur perte d’audience. Elle a peut-être
contribué à évincer Sarkozy, parce qu’il coalisait une pléthore de
ressentiments. Elle échouera à imposer un “ordre moral” trop semblable à
celui du pétainisme d’antan pour séduire durablement les Français. De
quelque “souche” qu’ils procèdent.
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