jeudi 24 mai 2012
SOS Déontologie : ces secteurs qui auraient tout autant besoin d’une charte que le gouvernement
Les ministres du premier gouvernement
de l'ère Hollande ont signé une "charte de déontologie". Une action
utile, mais qui doit maintenant irriguer d'autres secteurs de la vie
publique. De l'Assemblée nationale aux entreprises, certaines pratiques
posent de sérieux problèmes éthiques.
Séverine Tessier :
C’est un bon début qui montre qu’il y a une cohérence entre les
discours et les actes sur le thème de l’exemplarité et de l'éthique en
politique. Jusqu’à maintenant, on nous avait promis la république
irréprochable, mais ça n’a pas été le cas. On prend donc acte de cette
charte de déontologie, notamment sur ce qui concerne l’impartialité et
le non cumul des fonctions et des mandats. Mais on souhaite aller plus
loin : c’est un premier pas intéressant mais il faut le décliner dans le
reste du monde politique français.
Il
faut décliner cette charte de déontologie au niveau local. Je pense
notamment aux partenariats publics/privés, où on retrouve beaucoup de
cumuls de fonctions et de pratiques d’influences.
On
parle beaucoup de cumul des mandats, mais assez peu de cumuls des
fonctions, que ça soit des fonctions exécutives locales et nationales,
des conflits intéressants entre des fonctions publiques et privées, ou
la question du pantouflage. Un décret a par exemple été pris le
4 avril par l’ancien Premier ministre François Fillon, qui permet à des
ministres ou des collaborateurs de devenir avocat d’affaire. Ça leur
permettra de manière légale d’aller pantoufler dans des entreprises pour
se reconvertir.
Niveau local, on a
actuellement des élus locaux qui ont responsabilités exécutives, qui
sont parfois dans des commissions d’appels d’offres, et qui en même
temps sont cadres dans des entreprises qui répondent à la commande
publique. Certains sont juge et partie. C’est un vrai problème de conflit d’intérêt.
Il
faut en premier lieu lutter contre « l’esprit de corruption », cette
idée .que tout s'achète, y compris les politiques publics, qu’on peut
facilement démarcher un élu en lui offrant des cadeaux ou qu’on peut
facilement obtenir un logement en versant un pot-de-vin. C’est cet état
d’esprit qui doit évoluer, pour qu’on ait une éthique nouvelle en
politique, comme dans les pays scandinaves.
Il faut instiller cette déontologie par une méthode. On
propose d’associer les citoyens dans le contrôle des politiques,
notamment dans l’attribution des aides financières et des aides
associatives. C’est ce qu’on appelle l’open-data, la transparence. Il faut un renforcement des outils institutionnels de contrôle et des contre-pouvoirs citoyens.
Le rôle de la société civile doit être prégnant. La charte signée par
les ministres est d’ailleurs une traduction de ce qu'elle demande depuis
des années.
Il
faut en finir avec ce système discrétionnaire de badges et de pratiques
d’influences au sein même de l’institution, en interdisant l’accès des
lobbies aux couloirs de l'Assemblée et en les laissant seulement
participer aux auditions faites par les commissions. Que dans le cadre
des projets de loi, ceux qui en font la demande, qu'ils aient des
intérêts lucratifs ou non, puissent être auditionnés de manière
transparente.
« Lobby »
veut dire influence. Nous sommes donc défavorable à
l’institutionnalisation des pratiques d’influence. On est en même temps
pour une plus grande ouverture à des formes coopératives de démocratie. Il faut entendre la société civile, entendre des groupes d’intérêt qui en font la demande, mais sans que ça soit du lobbyisme.
C’est de l’information parlementaire. Ce travail peut se faire dans le
cadre des auditions. Tout le monde serait alors sur un pied d’égalité,
car actuellement les lobbyistes qui ont accès aux parlements, français
ou européen, sont ceux qui ont le plus de moyen. Il y a toujours un
régime favorable aux plus gros.
Oui,
même si certaines ont fait l’effort de mettre en place des chartes
éthiques et des chartes de transparence, il reste beaucoup à faire. Notamment
sur la protection des lanceurs d’alertes. Ce sont des personnes qui,
dans les entreprises ou les administrations, dénoncent des malversations
ou refusent exécuter un ordre manifestement illégal.
Actuellement, la loi a créé le droit d’alerte, mais il n’y a pas eu de
décret d’application et les salariés et cadres ne sont pas protégés.
Pour le faire, on peut penser à la création d’un numéro vert ou d’un
médiateur qui pourrait jouer ce rôle de protection et signalement aux
autorités publiques pour ensuite diligenter des contrôles.
Sur
l'aspect financier, il faut renforcer le contrôle fiscal pour mieux
contrôler les entreprises et lutter contre la délinquance financière. Il
faut également lutter contre l’évasion fiscale à travers certaines
niches ou l’utilisation de certains avantages qui ont été détournés de
leur objet, par exemple le crédit impôt-recherche. Une mission d’évaluation parlementaire a d'ailleurs pointé du doigt ce problème.
Reste
enfin la question des sanctions, en cas de manquement aux obligations
par rapport aux aides économiques versées par l’Etat : certaines
entreprises perçoivent ces aides, par exemple pour maintenir des emplois
ou effectuer certaines réalisations, mais elles sont parfois utilisées à
d’autre escient. Un volet sanction doit être mis en place.
La question du lobbyisme doit aussi être vue du côté des entreprises, qui sont rarement sanctionnées. On parle souvent des élus corrompus mais rarement des corrupteurs.
Il y a là un travail à faire notamment pour écarter de la commande
publique des entreprises qui auraient été condamnées pour corruption. La
loi actuelle prévoit cinq ans d’interdiction d’accès aux marchés
publics, mais elle n’est jamais mise en œuvre.
Toute
cette question de déontologie est aussi un des aspects qui permettront
de redresser la France au niveau économique. Sur le plan moral c’est une
chose, sur le plan économique aussi.
Plus
que le manque de déontologie, c’est le vice. Il est tellement facile
aujourd’hui d’avoir accès à des élus à coup de lobbying, notamment en
offrant des voyages, des cadeaux, en organisant des salons d’élus…
plutôt que d’investir sur la qualité de la production et de valoriser
une économie saine. Certes, cela dope l’image des entreprises auprès des
élus, notamment pour conquérir des marchés, mais ça pose de vrais
problèmes dans la mise en œuvre des choix économiques. Il faut donc plus
de transparence sur ces sujets et limiter le budget qui y est accordés.
Elle
est à l’avant-garde de l’éthique et en même temps elle crée des
attentes. Cela incite à une très grande vigilance et à une portée plus
concrète de cette action. Sur la scène internationale, c’est très
novateur. C’est une culture politique et la culture d’entreprise qui
sont en train de changer.
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