Les assurances du chef du gouvernement n’y peuvent pas
grand-chose : victime d’une grave crise bancaire, Madrid sera bientôt
obligée de demander de l’aide à l’UE. Tout comme l’Irlande, elle sera
dès lors placée sous perfusion — et sous tutelle.
Les Cassandre se frottent déjà les mains, convaincues d'être en passe
de gagner la partie. L’éventualité qui fait trembler autant les rues de
Madrid que les bureaux de Berlin – un grand pays de l'Union
européenne qui demande l'aide du fonds européen de sauvetage – semble
chaque jour plus probable.
Avant même qu'on apprenne que l'Etat allait devoir injecter 19 milliards d'euros supplémentaires dans Bankia, plusieurs experts soulignaient la nécessité pour le gouvernement espagnol, aussi douloureuse que soit cette décision, de demander une aide financière extérieure afin de recapitaliser ses établissements financiers. “Il aurait dû l'avoir fait il y a bien longtemps, mais mieux vaut tard que jamais”, commente Daniel Gros, chercheur au Centre for European Policy Studies (CEPS).
“Il est probable que l'Espagne entrera cette année dans un plan ou un autre, placée sous la tutelle d'une troïka, comme condition pour recevoir une aide plus importante de la Banque centrale européenne pour assainir sa dette souveraine ou ses banques”, déclarait il y a quelques mois déjà William Buiter, économiste en chef chez Citi.
Spectre d'intervention
L'équation comporte encore de nombreuses inconnues. On se demande notamment si l'Espagne finira par franchir le pas. Mais aussi quel sera le système choisi, si les épargnants cèderont à la panique ou si l'on pourra éviter une contagion qui toucherait d'abord l'Italie, puis la France et la Belgique.L'été dernier, les dirigeants de l'UE ont pris deux décisions qui devaient faciliter le recours au fonds temporaire de sauvetage (baptisé officiellement Fonds européen de stabilité financière, FESF) afin d'éviter l'effondrement d'une bonne partie du secteur bancaire espagnol. La dotation du fonds a d'abord été augmentée, passant de 440 à 780 milliards d'euros, même si sa capacité de prêt effective est restée à 440 milliards. Un mois plus tard, c'est son spectre d'intervention qui a été élargi : le mécanisme d'aide allait pouvoir aussi être utilisé pour recapitaliser des établissements financiers, par le biais de prêts concédés aux Etats.
Le problème est là : le flux d'argent irait d'abord à l'Etat, qui assumerait la dette et redirigerait les fonds aux banques. Et ce système est conditionné : c’est une intervention, avec tout ce que cela implique, avec des contreparties comme celles imposées à la Grèce, à l'Irlande ou au Portugal. Peu importerait, dès lors, que l'on soit là dans un sauvetage “light” (destiné à sauver les banques, et non l'Etat), puisque l'Europe pourrait poser ses exigences en matière de politique fiscale, de services publics, de privatisations ou de gestion des entreprises aidées, et imposer de sévères plans de restructuration.
Mais le plus inquiétant est sans doute le risque de voir l'Espagne incapable de se financer sur les marchés pendant une durée indéterminée. “On peut trouver toutes sortes de synonymes, mais c'est une intervention en bonne et due forme”, résume une source haut placée dans les institutions européennes.
Bon père de famille
On s'achemine ainsi vers un scénario qui rappelle l'expérience irlandaise : l'Etat, en bon père de famille, soutient ses banques, mais le trou à combler est trop profond, et le pays se retrouve acculé à une intervention externe. “Si l'argent pouvait aller directement aux banques [une option à laquelle s'oppose l'Allemagne], ce serait elles qui seraient chargées de rembourser”, explique l’économiste Santiago Carbó. “L'Europe devrait surveiller et encadrer les établissements aidés, ce qui pourrait passer par le principe d'une union bancaire”, ajoute Guntram Wolff, du groupe de réflexion belge Bruegel. “Mais ne nous leurrons pas, cela n'arrivera pas tant que le MES ne sera pas en vigueur.”Le MES dont parle Guntram Wolff, c'est le mécanisme européen de stabilité, qui le 1er juillet prochain doit remplacer le FESF pour devenir le fonds permanent de sauvetage. Non seulement ce nouveau système sera plus puissant, avec 500 milliards d'euros d'argent frais, mais il sera aussi plus souple. Reste que, pour entrer en vigueur, il doit encore être ratifié par une bonne partie des Etats membres. Un retard dans ce calendrier alors que l'Espagne brûle enverrait un signal désastreux.
Que se passera-t-il si finalement le gouvernement espagnol se voit contraint de recourir au fonds de sauvetage ? C'est Kenneth Rogoff, professeur à Harvard, qui fournit la réponse : “Si la zone euro et la BCE ne font pas des pas en avant clairs, et ce très rapidement, des paniques bancaires éclateront dans toute la périphérie et des fuites-éclair de capitaux auront lieu. Pour l'éviter, il faut injecter des liquidités dans le secteur bancaire. La zone euro devra avancer vers l'union fiscale, avec les euro-obligations. Nous assisterons de nouveau à des mesures exceptionnelles, impensables il y a encore peu de temps, comme cela a été le cas chaque fois que l'Europe a été au bord du crash.”
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