mercredi 25 avril 2012
Deux France(s) qui ne se parlent pas
Beaucoup de réactions ont suivi
l’annonce du score de Marine Le Pen. D’abord créditée de 20 % des voix,
elle réalise au final le beau score, un peu inférieur et moins
symbolique, de 17,90 %. L’écart le plus surprenant est encore celui qui
la sépare de celui qui s’était autoproclamé son principal adversaire,
Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier obtient 11,11% des suffrages exprimés.
Face au Front national, plusieurs
stratégies ont d’ores et déjà montré leurs limites. La gauche française
en a essayé deux, le recours à la vieille antienne de l’antifascisme et
la lutte par procuration. La première se heurte à deux obstacles.
Le premier est que l’assimilation entre
Front national et fascisme ne fonctionne pas. Déjà caduc au temps de
Jean-Marie Le Pen, le rapprochement l’est encore plus depuis que sa
fille dirige le Front. Celui-ci s’éloigne de plus en plus des terres de
l’extrême droite traditionnelle et rejoint le camp des droites
populistes européennes, telle qu’on peut les rencontrer au Pays-Bas, en
Suisse, en Finlande. Il relève du « populisme patrimonial », tel que
Dominique Reynié l’a défini, couplant critique des élites et défense de
la nation vue comme un patrimoine menacé.
Le second est qu’il repose sur la
diabolisation des électeurs et des militants du Front national. Or il
devient difficile de diaboliser 6,4 millions de personnes – c’est le
nombre de ceux qui ont voté Marine Le Pen samedi. Difficile de
diaboliser des non-diplômés, des jeunes, des ouvriers, des employés du
secteur privé, toutes catégories dont une part significative vote Front
national. Difficile, en démocratie, de diaboliser un électorat plus
« populaire » que le sien.
À gauche, durant cette campagne, on a
plutôt compté sur Jean-Luc Mélenchon pour limiter l’influence de Marine
Le Pen. Populisme contre populisme en somme, populisme « de gauche »
contre populisme « de droite ». Mais si les deux candidats ont en commun
la critique des élites et l’invocation du « peuple », si tous deux ont
le culte du « tout tout de suite » dans lequel le politologue Guy Hermet
voit l’essence du populisme, Jean-Luc Mélenchon est plus « citoyen »
que « national », ce dont témoignent ses positions sur l’immigration et
la régularisation des sans-papiers. On peut suivre le sociologue Sylvain
Crépon quand il affirme que les deux candidats ne s’adressent pas aux
mêmes électeurs.
Antifascisme et présentation d’un champion « populiste de gauche » anti-FN, ces deux stratégies ont échoué.
La droite a expérimenté deux stratégies
destinées à contenir le Front national. La première a été celle de
Jacques Chirac à partir de 1986 : refuser toute alliance, ce qui
cantonne le FN à une position d’extrême droite. Imposée par les
héritiers du gaullisme, elle pouvait d’ailleurs s’appuyer sur le fossé
que la liquidation de la guerre d’Algérie a creusé entre les gaullistes
et la droite de la droite. Cette stratégie, la droite l’a maintenue
alors qu’elle lui coûtait parfois cher : on se souvient par exemple du
rôle des « triangulaires » aux élections législatives de 1997. Partout
où ils le pouvaient, les candidats FN se sont maintenus, ce qui a
objectivement servi les intérêts des socialistes.
Face aux communistes, François Mitterrand
avait choisi la stratégie du « baiser de la mort » : une alliance qui
les laisserait exsangues. La droite ne peut, sous peine de perdre ses
éléments modérés et libéraux, user d’une semblable manœuvre face au
Front national. Nicolas Sarkozy a tenté en 2007 une autre stratégie :
droitiser son discours de premier tour pour récupérer une partie de
l’électorat frontiste. Efficace dans cette élection présidentielle, face
à un Jean-Marie Le Pen vieillissant et qui avait connu son apogée en
2002, cette stratégie, relancée dès 2010 par l’actuel président avec le
fameux discours de Grenoble, ne marche plus. Au contraire, elle a plutôt
conduit à redonner une audience au Front et à ses thèmes principaux :
face un chef de l’État impopulaire, le parti populiste avait désormais à
sa tête une femme politique talentueuse et réactive. D’autre part, le
coût moral de l’opération est élevé pour la droite républicaine.
Ni la stratégie de l’isolement, ni celle
de la droitisation du discours n’ont permis à la droite républicaine
d’empêcher l’enracinement et la croissance du Front national.
Il reste cependant au moins une stratégie
qui n’a pas été essayée : la stratégie du débat direct entre les
représentants des forces de gouvernement et ceux du Front national. Ce
n’est que dans le débat contradictoire avec Marie le Pen et ses proches
que les modérés ont une chance de toucher l’électorat frontiste. C’est
politiquement et dans l’échange contradictoire que l’on peut élargir et
renforcer le consensus démocratique.
Le déficit chronique de débat dans cette
campagne n’est d’ailleurs que la manifestation d’une forme de la
défaillance républicaine des socialistes modérés, des centristes, des
libéraux, des gaullistes : quand ils n’ont pas stigmatisé les électeurs
du FN, ils ont cru pouvoir leur parler directement sans débattre avec
ceux pour qui, régulièrement, ces électeurs votaient.
J’en reviens souvent à 2005 et au
référendum sur la constitution européenne, et aux deux France qui s’y
sont opposées. Elles sont toujours là en 2012. La France du « oui » et
la France du « non » ne se sont pas parlé durant cette campagne. Les
représentants politiques de la France du « oui » croient encore qu’ils
peuvent convaincre la France du « non » autrement que par le débat
démocratique. Nous payons lourdement cette erreur : nos forces
gouvernementales ont peu d’assise, et le seul vrai débat va finalement
avoir lieu avant le second tour, entre des candidats qui ne
représentent, à eux deux, qu’un peu moins de 56% des votants, et 45% des
électeurs inscrits.
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