vendredi 20 avril 2012
Cette gauche qui a toujours favorisé les riches plus qu’elle ne veut bien le dire
Durant sa campagne, la critique des
riches a été l'un des chevaux de bataille de François Hollande. Une
attitude qui laisse penser, à tort, que la gauche a toujours agi contre
les intérêts des mieux lotis financièrement.
Après plusieurs semaines passées à abuser le malade France sur son état (« mais
non, mais non, votre cancer métastasé n’est pas si grave, un peu
d’aspirine et tout ira mieux... et n’écoutez surtout pas les mauvaises
langues qui vous parlent d’une chimiothérapie urgente et carabinée
»), les discours de campagne s’attaquent maintenant à la rubrique
gastronomique : un tel a mangé avec un tel, il y a deux ans, un autre a
reçu ses soutiens à l’hôtel Crillon pour une bonne bouffe, un troisième a
mangé avec BHL dans un restaurant étoilé. J’ai même trouvé dans la presse canadienne mention du petit restaurant portugais où Marine Le Pen a promis de faire son repas de fête si elle remporte l’élection.
Certes,
ces polémiques font partie des boules puantes habituelles lancées en
fin de campagne, des piques pour candidats à bout de souffle, qui
contribuent à nourrir le rejet grandissant (et justifié) de la
démocratie représentative chez des Français obscurément inquiets, mais
volontiers tentés par une rasade quinquennale de ronron et
d’insouciance.
Au-delà du constat
mi-rassurant : en cinq ans, Nicolas Sarkozy aura compris que la
nourriture du Fouquet’s ne vaut pas tripette, mi-inquiétant : le Crillon
n’est guère mieux, et en plus le cadre est vraiment surfait, cette
affaire sans intérêt est quand même l’occasion de poser une bonne fois
pour toutes la question qui fâche : la gauche et l’argent.
Je
veux bien qu’on tente de me faire croire que les riches sont de droite,
et que les gens de gauche sont pauvres ou étrangers à l’argent. Mais
enfin, je voudrais quand même rappeler quelques vérités bien connues
des (pas forcément très) initiés, et que les Français ont le droit de
savoir.
Je prends l’exemple du
bonus de Maurice Lévy, patron de Publicis. L’intéressé avait proposé en
2011 une augmentation d’impôts pour les plus riches et avait renoncé à
sa rémunération fixe de 1 million d’euros, pour encaisser 16 millions de
primes variables en mars 2012. Doit-on rappeler que la présidente du
conseil de surveillance du groupe n’est autre qu’Elisabeth Badinter,
bien connue pour les leçons de bien-pensance de gauche qu’elles nous a
si longtemps infligées ? Son fils, Simon Badinter, est l’un des
directeurs du groupe. Et, parmi les administrateurs indépendants de
Publicis, on trouve Hélène Ploix, ancienne conseillère de Laurent
Fabius, qui a mené une carrière brillante à la Caisse des Dépôts sous la
gauche. On imagine mal que tous ces gens n’aient pas donné leur accord
aux choix provocateurs de Maurice Lévy en matière de rémunération.
En
tout cas, s’ils sont choqués par ces pratiques, ils ont la faculté de
remercier le contrevenant, ce qu’ils ne semblent pas décidés à faire.
Personnellement,
peu me chaut que Pierre, Paul ou Jacques gagne de l’argent et aille
manger au Crillon, à la Tour d’Argent, ou ailleurs. En revanche,
rien n’est plus agaçant que le retour de cette bien-pensance où des
gens qui se prosternent devant l’argent tentent de passer pour des
Robins des Bois.
François Hollande,
interrogé sur ce point sur BFM a d’ailleurs lancé: « Je suis une
personne aisée. Mais me faire traiter de gauche caviar par l'incarnation
de la richesse insolente». C’est ici que dans le storytelling des sociaux-démocrates français, il
manque une étape majeure : la contribution décisive qu’ils ont
eux-mêmes apportée à la constitution d’une « richesse insolente » dans
notre pays.
Car, ne l’oublions pas,
le coup d’envoi à l’enrichissement démesuré, aux rémunérations sans
cesse plus importantes, aux fortunes décomplexées, cette déstructuration
systématique des valeurs héritées de la France gaulliste, fut donné par
la gauche moderne, les fameux « rocardiens », qui furent des
avant-gardistes mondiaux en matière de dérégulation tous azimuts.
Dans
ce grand mouvement, la loi bancaire de 1984 a joué un rôle essentiel,
puisqu’elle a permis la constitution d’une industrie financière tout de
suite après le fameux tournant de la rigueur de 1983. Industrie
financière qui est à la source de cette débauche spéculative, de cette
cupidité sans limite dont la crise abyssale que nous traversons est le
résultat immédiat.
Faut-il ici rappeler le
refus obstiné de Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des Finances, de
fiscaliser les stock-options ? Certes, la loi Fabius de 2001
introduisit une fiscalité progressive sur ces fameux instruments de
rémunération des grands patrons, mais en multipliant les exemptions et
les cas spécifiques. C’est paradoxalement la droite qui a,
depuis 2002, rendu leur régime de moins en moins attractif, en rendant
leur attribution de plus en plus transparente.
Mon
propos n’est pas d’inverser les croyances. Je ne suis pas en train de
soutenir que la droite serait plus ennemie de l’argent que la gauche. En
revanche, maintenir l’illusion que la gauche, que le candidat Hollande
incarne, serait un mouvement populaire indépendant des grandes fortunes
de ce pays est évidemment un fantasme. Une rodomontade. Une
carabistouille.
Simplement, ce que la droite de Nicolas Sarkozy affichait grossièrement, la gauche de Hollande tente de le cacher.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire