dimanche 5 juin 2011
Déjeuners secrets avec la presse : l’autre scandale de l’affaire DSK ?
Des rédactions « convoquées » en secret dans de grands restaurants parisiens. Un candidat qui se déclare devant des journalistes dont il réclame le soutien… mais qui n’en piperont mot jusqu’à sa chute. Et si l’autre scandale de l’affaire DSK tenait aux indéfectibles soutiens politiques dont il bénéficiait auprès des médias français ?
Vue d’Amérique, l’information est plus que dérangeante. Elle est pourtant passée presque inaperçue dans le flot ad nauseum de nouvelles sur l’affaire DSK... Quelques semaines avant son arrestation, le champion socialiste, le Jedi du FMI censé rétablir l’équilibre dans la Force après un quinquennat de stupre sarkozyen, organisait des déjeuners secrets avec la crème des journalistes politiques parisiens.
Quel était le concept de ces rencontres pour « happy-few » médiatiques ? DSK disait tout… mais les journalistes, eux, ne pouvaient rien en dire ! Curieuse dialectique médiatico-politique. Enfin… jusqu’au crash new-yorkais et à la mort politique de l’intéressé, qui a brisé de facto le vœu de silence des journalistes. Des journalistes qui ne pensaient vraisemblablement pas à mal en acceptant de taire les informations qu’ils recevaient, puisque c’est un des leurs (Denis Jeambar de Marianne), qui a raconté par le menu, et avec une candeur désarmante, le contenu de l’une de ces rencontres secrètes.
Pas encore officiellement candidat mais déjà en pré-campagne (notamment en vue des primaires socialistes), Dominique Strauss-Kahn avait invité fin avril les pontes des rédactions de Marianne, du Nouvel Obs et de Libération, pour trois déjeuners « off » dans de grands restaurants parisiens. Une façon informelle et pleine de tact d’anticiper la mue du directeur-général du FMI en candidat socialiste et de dévoiler en primeur aux heureux élus (et à mots à peine couverts) son intention de se porter candidat à la présidentielle… tout en exigeant encore une fois de ses convives qu’ils demeurent bouche cousue.
Et tant pis si le travail des journalistes présents consistait justement à assurer au quotidien la couverture de la campagne électorale… Tant pis surtout pour leurs lecteurs qui ont pu lire dans leurs colonnes, et jusqu’à l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, des informations tronquées sur la primaire socialiste. Ce petit cirque aurait eu d’ailleurs toutes les chances de perdurer quelques semaines encore sans l’intervention de la police new-yorkaise…
Le doute sur les intentions de DSK, savamment entretenu par ses proches, était indéniablement un acte politique, qui jouait en sa faveur tant il faussait la campagne interne au parti socialiste, handicapait les challengers (Royal, Hollande) et faisait monter un « désir » artificiel auprès de l’opinion. Mais la connivence d’une brochette de journalistes avec un politicien en vue posait surtout un sérieux problème de déontologie.
Connaître trois mois à l’avance les intentions d’un homme politique dans une course présidentielle n’a rien à voir avec un banal embargo de quelques heures ! L’alibi du « off » n’est pas recevable face à des éléments et des rencontres de cette importance ! Le « off » journalistique a pour objet d’enrichir et d’humaniser les données recueillies au cours de l’enquête… pas d’opérer de la rétention volontaire.
Manquement au devoir d’informer donc. Mais la portée de ces causeries informelles allait bien au-delà du fameux « atterrissage en douceur » voulu par les proches de DSK. Dans la campagne qui s’annonçait, l’ex-futur candidat socialiste comptait sur « l’engagement militant » de ces trois médias traditionnellement orientés à gauche qui (doux euphémisme) ne portent pas Nicolas Sarkozy dans leurs cœurs.
Reprenons le compte-rendu édifiant du déjeuner dressé par Denis Jeambar. En plein exercice de séduction, DSK demande au patron de Marianne (Maurice Szafran) si son journal « souhaite bien que la France soit débarrassée de ce type-là ». Nicolas Sarkozy s’entend… La réponse de Maurice Szafran semble convenir à Dominique Strauss-Kahn qui poursuit : dans ce cas-là, « Marianne n’a pas d’autre choix que de (le) soutenir dans ce combat ».
Les déjeuners. Les journalistes. Le « off ». Tout s’explique. Même pour l’ingénu Denis Jeambar qui perçoit une demande de « soumission » (qu’il considère toutefois « choquante »). Ces déjeuners, au secret scrupuleusement respecté par des dizaines de journalistes, n’étaient en réalité rien de moins que la mise en branle d’une machine de guerre journalistique contre Nicolas Sarkozy au service du PS.
Pour DSK, les journalistes présents avaient vocation à se transformer en fantassins au cours de la campagne présidentielle. L’auraient-ils déçu sur ce point ? Impossible de le dire, mais leur simple silence sur ces rencontres éminemment politiques en faisait de toute façon des alliés objectifs d’un DSK en lévitation sondagière.
Aux Etats-Unis, les convives de ce genre de déjeuners auraient eu à s’expliquer devant leurs confrères (et le public)… et auraient in fine été renvoyés. En France, le copinage (qui tourne souvent à l’enrôlement partisan) semble demeurer la norme… une zone grise et malsaine de la vie politico-médiatique.
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