dimanche 4 décembre 2011
Non, Angela Merkel n'est pas Bismarck
La comparaison d'Arnaud Montebourg ne tient pas debout.
Le sémillant Arnaud Montebourg a indéniablement le sens de la formule. Mais pas celui de la vérité historique. Angela Merkel, a-t-il fulminé, veut "tuer l'euro", elle "mène une politique à la Bismarck" afin que "l'Allemagne fasse fortune sur les ruines des autres pays" et impose "un ordre allemand". Rien de moins.
Il est rare d'accumuler autant de sottises en aussi peu de mots. L'histoire est comme les baïonnettes : on peut tout faire avec, sauf s'asseoir dessus. Le chancelier de fer n'a pas laissé un très bon souvenir en France. C'est Bismarck, en grand uniforme de cuirassier, qui, le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces de Versailles, lit devant Guillaume, roi de Prusse, la proclamation de l'empire allemand. Des hourras s'élevèrent dans le château de Louis XIV, symbole de la grandeur française humiliée.
Bismarck, fils de hobereau, est l'homme d'une vision et d'une volonté : celle de l'unité allemande, conquise par la force des armes. Il est l'émanation d'une monarchie autoritaire mais aussi un fin politique, adepte des grands équilibres en politique internationale et précurseur en matière sociale. Il est l'inventeur de la sécurité sociale et du système des retraites. Angela Merkel, fille de pasteur, est à la tête d'un État démocratique aux équilibres politiques compliqués. Elle n'a rien d'une visionnaire : c'est une honnête gestionnaire pragmatique. Elle doit composer avec son propre parti, sa coalition, le Bundestag, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Prudence de serpent
L'Allemagne d'Angela Merkel est bien éloignée de la Prusse de Bismarck ou de l'empire qui lui a succédé. C'est un pays discipliné où le travail est sacralisé, mais aussi une nation vieillissante, plutôt frileuse, qui redoute le vent du grand large comme le montre la prudence de serpent de Berlin en matière de politique internationale. Angela Merkel ne veut dominer personne et n'a aucun projet hégémonique. Elle-même et ses compatriotes ont été vaccinés pour des siècles contre les folies aventuristes incarnées par la période nazie. Elle cherche à préserver les intérêts des Allemands, qui ont déjà dû consentir un colossal effort (1500 milliards d'euros) pour financer la réunification.
Elle se définit comme une ménagère souabe qui veille au budget de sa famille. Traumatisés par la débâcle du mark des années vingt, les Allemands regardent avec suspicion tout projet qui consisterait à mutualiser et monétiser la dette de la zone euro. Pour eux, l'indépendance de la Banque centrale est un dogme intouchable, la Loi et les Prophètes. Pour que l'Allemagne bouge, il faut la rassurer et non pas vociférer des anathèmes stupides fondés sur des divagations historiques. Si l'on peut reprocher quelque chose à Angela Merkel, c'est plutôt d'être parfois trop timide, un peu indécise. On est bien loin de Bismarck.
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